Gouvernance

Politique de charroi zéro, du flou à l’échec

Dans le cadre de la gestion du transport administratif, le Gouvernement du Burundi a adopté la politique de « Charroi zéro » qui a été mise en œuvre à partir de 2013. Cette politique avait pour but de réduire les charges de l’Etat liées à la gestion de son parc automobile. Six ans après, un bilan mitigé s’observe dans l’exécution de ce projet

La politique de charroi zéro a été instaurée par le décret n°100/22 du 30 janvier 2013 portant mode d’organisation et de fonctionnement du transport administratif dans la politique de charroi zéro. En son article 2, le décret précise que le charroi de l’Etat est réduit au strict minimum et est réparti de manière à fixer les services qui gardent les véhicules de l’Etat à déterminer les services faisant objet de la politique du charroi zéro. Le même décret précise les véhicules gardés par l’Etat au bénéfice de certaines personnalités et de certains services ainsi que le nombre de véhicules de fonction, mais force est de constater que les dépenses qui étaient allouées au transport administratif gratuit n’ont pas baissées pour autant. 

Selon l’étude de l’IDEC, la politique de charroi zéro n’a touché que 20% du charroi de l’Etat. Ce qui a occasionné des difficultés, notamment celle de renouveler et d’entretenir le charroi de l’Etat restant.

Dans les prévisions, cette politique devait permettre de faire des économies sur les dépenses en achat de nouveaux véhicules de l’Etat, de carburant ou encore leur entretien de l’ordre de 10 millions de dollars américains par an. L’Observatoire de l’Action Gouvernementale (OAG) a fait ses propres analyses sur la question qui font ressortir que les plaques jaunes qu’arborent les véhicules officiels circulent aujourd’hui encore en grand nombre. Par ailleurs, à la place des économies escomptées, les dépenses d’entretien et de réparation du charroi administratif ont plutôt augmenté de 2,1%, passant de 4,7 à 4,8 milliards de francs burundais depuis l’entrée en vigueur théorique de la nouvelle politique de charroi zéro de l’Etat burundais. De l’autre côté, les dépenses liées à l’achat des lubrifiants et du carburant ont augmenté de 0,7%, passant de 11,4 à 11,5 milliards de francs burundais.

Cette politique avait comme principaux objectifs l’amélioration de la rentabilité du charroi de l’Etat, la rationalisation des services de transport administratif et la mise en place des stratégies pour arriver à une situation de charroi cohérente avec son volume et son importance dans la gestion des finances publiques. Les défis auxquels fait face cette politique sont liés aux effectifs et à l’évolution des ayants droit aux indemnités kilométriques, au renouvellement et à l’entretien du charroi restant, ainsi qu’à l’appropriation de la politique de charroi zéro.

Le décret précise également que les indemnités kilométriques en cas de déplacement à l’intérieur du pays seront calculées selon les relevés d’index à raison de 289 FBu par kilomètre. Depuis la mise en œuvre de la politique de charroi zéro, les indemnités kilométriques ont connu une tendance générale croissante. En 2016, les indemnités kilométriques représentaient environ 2 fois (1,8) leur valeur de 2013.Ce qui implique que les ayants droit ont sensiblement augmenté.

Une bonne politique, mais à bien des égards inefficace selon les études

Dans son étude intitulée « Politique de charroi zéro au Burundi : Quelles avancées dans l’affectation des budgets ? », publiée en décembre 2017, l’Institut de Développement Economique du Burundi (IDEC en sigle) s’interroge sur son efficacité. Il fait savoir que de 2013 à 2014, le budget alloué au parc automobile de l’Etat est passé de plus de 18,7 milliards de FBu à plus de 17, 3 milliards de FBu. En 2015 et 2016, le gouvernement a dépensé plus de 17, 6 milliards de FBu pour l’entretien de son charroi.

Avec la mise en œuvre de la politique de charroi zéro, les budgets alloués au charroi de l’Etat utilisé dans les ministères et dans les hautes institutions de l’Etat ont relativement baissé. En effet, le budget a diminué de 7,3% en passant de 18.715.038.877 FBu en 2013 à 17.344.063.746 FBu en 2014 alors qu’il avait augmenté de 3,9% en passant de 13.756.041.288 FBu en 2011 à 14.295.110.360 FBu en 2012 et de 30,9% avec 18.715.038.877 FBu en 2013 (soit 26,1 points de plus). De 2014 à 2015, le budget a légèrement augmenté de 1,7% (soit 17.636.952.827 FBu avant de baisser à 17.344.063.746 FBu en 2016, soit une baisse de 2,3%. Certes, cette tendance témoigne les avancées en termes de réduction d’allocations budgétaires au charroi de l’Etat, mais les montants restent supérieurs à ceux de 2012. Malgré cette baisse modérée, 7,3% des dépenses observées en 2014, la hausse des dépenses totales du charroi de l’Etat a été de 1,7% en 2015. Même l’année 2016 a été caractérisée par une baisse de 2,3% des dépenses totales du charroi de l’Etat. Et même là, on constate que les montants restent supérieurs à ceux de 2012. Ce qui suscite des interrogations en termes d’effectivité de ladite politique.

« La part des budgets destinés à l’Assemblée Nationale a toujours été la plus élevée avant et après la politique de charroi zéro », lit-on dans cette étude. Alors que ses budgets représentaient moins de 55% des budgets des hautes institutions en 2011-2012, leur part est passée de 50,2% en 2013 à 64,3% en 2016.

Des défis ont toujours caractérisé la politique de charroi zéro depuis son instauration

En tant que réforme du fonctionnement du transport administratif, la politique de charroi zéro a fait face à sept défis majeurs selon l’étude de l’IDEC à savoir : l’accroissement du nombre d’ayants droit aux indemnités kilométriques, la fragilité de la mise en application de la politique de charroi zéro suite à la non appropriation de cette réforme par les décideurs, les effets pervers liés à l’extension de cette politique de charroi zéro aux institutions à autonomie financière et de gestion, les difficultés de payer régulièrement les indemnités kilométriques mensuelles accordées aux ayants droits; la politique du charroi zéro n’a touché que 20 % du charroi de l’Etat, le gros des véhicules de l’Etat se trouvant dans les ministères de la Défense Nationale et celui de la Sécurité Publique, les administrations déconcentrées n’ayant pas été concernées par cette politique, la difficulté de doter des mêmes avantages aux ayants droit nouvellement nommés et  de renouveler et entretenir le charroi de l’Etat restant. 

La commission permanente du parlement chargé de la bonne gouvernance et de la privatisation a effectué des descentes dans différents services publics et dans les provinces pour constater l’état des lieux de la politique de charroi zéro. Le rapport dont Burundi Eco a pu obtenir une copie révèle des anomalies non négligeables. 

De la Cour des Comptes à l’Office Burundais des Recettes (OBR) en passant par l’Office des Transports en Commun (OTRACO), la commission parlementaire a constaté que la politique de charroi zéro n’a pas abouti. Les indemnités kilométriques n’ont pas été octroyés régulièrement aux ayants droit.

Des prix qui ne correspondent pas aux valeurs réelles des véhicules

La commission parlementaire a cherché à savoir comment un véhicule d’une valeur de 150.000.000 de FBu puisse s’acheter à 20.000.000 de FBu dans la politique de charroi zéro. Le Directeur Général au sein du ministère ayant les transports dans ses attributions fait savoir que la fixation des prix n’était pas dans les attributions dudit ministère, mais qu’il y a une commission qui était chargée de fixer les prix. Ce qui cache certaines réalités selon la commission parlementaire. En outre, certains ministères continuent à acheter de nouveaux véhicules alors que le projet est toujours en cours. « Il y a des véhicules qui tombent en panne et qu’on doit remplacer, mais aussi de nouvelles autorités qui entrent en fonction et qui doivent avoir des moyens de déplacement », peut-on lire dans le rapport. Le Directeur Général au ministère des Transports recommande que la politique de charroi zéro soit suspendue pour étudier de nouvelles stratégies, car des imperfections persistent dans sa mise en œuvre.

Revoir la politique de charroi zéro reste une meilleure option

L’Observatoire de Lutte contre la Corruption et les Malversations Economiques (OLUCOME) dans son rapport de 2014 avait  demandé  au gouvernement de revoir la politique de charroi zéro de l’Etat suite aux imperfections observées dans sa mise en application qui occasionnent beaucoup de dépenses contrairement aux attentes « Il y a certaines autorités qui détournent les véhicules de liaison qui ont été prévus dans la politique de charroi zéro qui devraient en principe être affectés à l’exécution des missions de l’Etat, mais qui finalement sont utilisés dans les affaires privées des familles ou dans des réunions politiques au détriment de l’intérêt du service », précise le rapport. Ce qui constitue une affectation illégale des finances publiques et par conséquent un manque à gagner énorme pour l’Etat. En outre, certains chefs de services, après avoir obtenu ces véhicules, les ont immédiatement vendus au prix fort alors qu’il s’agissait d’une facilité obtenue dans le but d’exécuter une mission de l’Etat.

En attendant des explications de la part du ministère ayant la politique de charroi zéro dans ses attributions, des interrogations sur sa mise en application persistent. La commission parlementaire demande au gouvernement de réviser cette politique dans les meilleurs délais en vue de minimiser les dépenses lui allouées. 

A propos de l'auteur

Bonaparte Sengabo.

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