Economie

Pourquoi la pénurie chronique des devises ?

La pénurie des devises persiste sur le marché de change. Les mesures initiées pour casser l’écart entre le taux officiel de change et le taux de change parallèle n’ont pas produit d’effets escomptés. Le pays souffre toujours de la pénurie de devises, paralysant ainsi l’activité  économique 

Les banques commerciales sont à court de devises. Dans son intervention, Tharcisse Rutumo, Administrateur Directeur Général  de la Banque de Crédit de Bujumbura (BCB) témoigne que les clients ne sont pas servis à leur guise. « Les importateurs viennent nous supplier avec des ordres de transfert pour avoir des devises. Et quand on leur dit qu’on n’a rien,  ils pleurent ! ». La pénurie des devises touche désormais tout le monde.  « …. finalement avec une longue crise de carburant, même le citoyen lambda peut sentir que quand il y a crise de devises, ça nous touche tous », déplore-t-il.

Auparavant, se remémore Rutumo, la BCB avait de quoi servir ses clients, de quoi vendre aux bureaux de change et s’il le faut, chaque jour, il y avait des réserves excédentaires qu’on cédait à la Banque centrale. Et tout d’un coup la situation s’est dégradée depuis la crise socio-politique de 2015. Il suggère de revenir au système de gestion qui prévalait avant cette crise. Pour y arriver, il faut surtout travailler sur l’offre. « On a beau prendre des mesures pour réguler le marché  de change, mais tant qu’on n’aura pas suffisamment d’offre en devises, toutes les mesures seront vouées à l’échec », conclut-il.

Le différentiel du taux de change encourage la contrebande à l’importation puisque les gens y vont pour obtenir des excédents de dollars en surévaluant la valeur des importations qu’ils doivent faire.

La Baisse des réserves de change

L’écart entre le taux de change officiel et le taux de change parallèle devient important. Pour le moment, il y a une large marge qu’on appelle prime sur le marché parallèle d’à peu près 76%. Cela est dû à la diminution énorme des flux de réserves dues à son tour à la diminution des exportations et à la diminution de l’aide publique  au développement et aussi la demande des dollars pour spéculer sur le marché parallèle, estime Léonce Ndikumana, professeur émérite à l’université de Massachussetts basée aux Etats-Unis.

Le différentiel du taux de change encourage la contrebande à l’importation puisque les gens y vont pour obtenir des excédents de dollars en surévaluant la valeur des importations qu’ils doivent faire. Il encourage aussi la sous facturation à l’exportation pour pouvoir effectivement disposer des dollars supplémentaires qui vont alimenter le marché parallèle.

Le marché de change, un marché complexe

Pr Ndikumana révèle que le marché de change connait des problèmes plus complexes que le taux de change. Du côté de l’offre, l’économie fait face à des rigidités structurelles, notamment une base très fine des exportations, surtout les produits de base qui sont sujets à des chocs internationaux.  Ensuite, elle fait face à la détérioration des termes de l’échange puisque le Burundi exporte des biens qui n’ont pas de valeur ajoutée élevée alors que le pays devrait importer des produits finis. Il y a aussi la forte dépendance à l’égard des financements extérieurs, notamment l’aide publique au développement.  L’autre défi est lié à la sous facturation à l’exportation et aux autres fuites de devises provenant des exportations. Les exportations étant une source importante de devises, mais il faut s’assurer que les exportateurs rapatrient les devises à la BRB.

La sous facturation affecte les recettes en devises

Les exportations de l’or augmentent progressivement en tant que sources de revenus potentiels à l’exportation. Cependant, les disparités observées au niveau des données sur les recettes d’exportation portent à confusion. Pour le cas précis, les Emirats arabes Unis déclarent qu’ils ont enregistré 1,4 milliard USD entre 2000 et 2019 alors que le Burundi rapporte qu’il a exporté de l’or pour  678 millions USD vers les Emirats-Arabes Unis à la même période.  D’une façon ou d’une autre, il y a une sous déclaration des exportations de l’or.

Un exportateur qui travaille jour et nuit et qui domicilie ses devises dans une banque et qu’on lui exige de procéder au change immédiatement voit son compte en devises « vide » au profit de son compte BIF. Et quand,  il aura besoin des devises pour importer les matières premières, il devra supplier la banque pour avoir les devises. Cet exportateur ne sera pas motivé à continuer à exporter et s’il exporte, il va facturer 10 USD pour un produit qu’il va vendre à 20 USD, c’est-à-dire que son client va payer 20 USD et il va rapatrier 10 USD, explique Rutumo.

Des mesures pour réduire les fuites de devises

Au niveau de la gouvernance économique, il existe un système en cours de développement pour renforcer la collaboration entre la BRB, les banques commerciales et l’Office Burundais des Recettes (OBR).  Désormais, insiste Audace Niyonzima, 1er Vice-gouverneur à la Banque centrale, la plateforme informatique va assurer la traçabilité des devises. Chaque importateur qui reçoit les devises auprès du système bancaire aura un code qu’il va présenter  à la douane pour vérifier  s’il a réellement dépensé les devises pour importer. Il en est de même pour les exportateurs. Ces derniers vont avoir un code pour déclarer les quantités et les valeurs des biens à exporter. Ce qui permettra de vérifier si les quantités déclarées correspondent bel et bien aux devises rapatriées.

D’après Pr Ndikumana, la réforme du marché de change est à la fois un exercice technique, politique et institutionnel. L’expérience a montré que le marché de change ouvert et concurrentiel avec la participation de la BRB et des banques commerciales a contribué à éliminer la prime du marché parallèle. Cependant, à l’heure actuelle, ce marché concurrentiel est impossible sans une augmentation des rentrées en devises. Dans l’immédiat, il faut cueillir les fruits à portée de mains, notamment l’aide publique au développement. Le gouvernement doit améliorer sa capacité d’absorption parce que les bailleurs de fonds tiennent compte de la capacité d’absorption d’un pays. Les retards dans le démarrage des projets de développement n’encouragent pas les autres partenaires à financer le développement.

A propos de l'auteur

Benjamin Kuriyo.

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