L’augmentation de la population exerce une pression sans précédent sur les ressources naturelles. Les activités agro-pastorales mettent en péril les équilibres biologiques. En amont, la déforestation entraine l’érosion superficielle et accroît les risques d’inondations en aval. D’où la nécessité de préserver l’environnement au risque d’assister à des catastrophes environnementales inédites dans la ville de Bujumbura. Quel plan d’urgence pour inverser la tendance ? Analyse
Le Burundi connait une dégradation alarmante de son environnement. « La majorité de la population étant agricole, le galop démographique implique une surexploitation des terres, la dégradation des sols, la destruction des aires protégées et le déboisement », a indiqué Gérard Nduwayezu, ex-directeur des Forêts au ministère ayant l’environne¬ment dans ses attributions.
Les montagnes surplombant la ville de Bujumbura sont dénudées. Les Mirwa sont submergées par les activités économiques. C’est l’une des rares régions où l’agriculture se pratique sur des terrains à de fortes pentes jusqu’au sommet des montagnes. Des arbres fruitiers, des champs de manioc, de maïs, de haricot et d’autres cultures vivrières s’étendent sur des pentes raides. La plupart des rivières qui traversent la ville de Bujumbura prennent source dans les Mirwa. Elles charrient les alluvions et les débris végétaux vers le lac Tanganyika. Sur le plan environnemental, la région est en proie aux glissements de terrain et le phénomène de ravinement.

Les montagnes surplombant la ville de Bujumbura sont dénudées. Les Mirwa sont submergées par les activités économiques.
Une forte dégradation du sol meuble
Ir Samuel Ndayiragije, ex-directeur général de l’Office Burundais pour la Protection de l’Environnement (OBPE) a affirmé que la terre meuble se dégrade sur toute l’étendue du territoire, plus particulièrement au centre du pays dans la région des Mirwa. « La dégradation des terres à l’Est de notre pays est évaluée à 4 tonnes par ha et par an. Au centre du pays, elle est évaluée à 8 tonnes par ha et par an. La situation est catastrophique dans la région naturelle des Mirwa où la perte en terre meuble s’élève à 100 tonnes par ha et par an », a alerté M. Ndayiragije.
Cet environnementaliste prévient que si on n’y prend pas garde, dans moins de trente ans, il n’y aura plus de sol meuble dans cette région. Le sol meuble est assimilable aux produits non renouvelables, argumente-t-il. En moyenne, au niveau mondial, pour former un centimètre de sol, il faut à peu près 178 ans. Ce qui signifie que pour former un millimètre de sol, il faut à peu près 18 ans. Ir Ndayiragije appelle tout un chacun à sauvegarder ce bien commun difficilement renouvelable.
« Aux grands maux, de grands remèdes »
Tout un arsenal d’équipements a été déployé pour restaurer le couvert végétal. On assiste à des campagnes de reforestation ça et là à travers le pays. Dans ce même ordre d’idées, il a été instauré une journéedédiéeà l’environnement. Tous les jeudis, les administratifs mettent des bottes, des t-shirts et des casquettes pour réaliser des travaux de protection de l’environnement. Ce sont notamment le traçage des fosses antiérosives, l’arrachage des jacinthes d’eau, le déracinement des arbres hydrophiles, etc. Durant les week-ends, les jeunes pionniers dans les actions de protection de l’environnement organisent des cérémonies en grande pompe pour embellir les villes tant à Bujumbura qu’a l’intérieur du pays. Tous les moyens sont mobilisés : location des véhicules, des agences de communication pour prendre des images. On dirait des séances photos. Durant les campagnes de protection de l’environnement, les images des officiels inondent les réseaux sociaux.
Le repiquage des plantes ornementales ne résout en rien les défis environnementaux constatés dans les montagnes surplombant la ville de Bujumbura. Le vrai danger est là. On risque d’être à côté de la plaque. Le mieux serait d’organiser toutes les interventions dans la protection de l’environnement quitte à fixer un plan de restauration du couvert végétal pour protéger le massif montagneux des Mirwa.
Il faut également fixer les priorités en ciblant les zones à haut risque pour un travail concerté et systématique.
Un verre à moitié vide et à moitié plein
Le programme« Ewe Burundi urambaye » concerne la plantation de divers types d’arbres, entre autres les arbres fruitiers, les espèces fourragères, agro-forestières, les arbres à bois de sciage et de construction ainsi que les arbres rituels marquant l’histoire comme Umumanda, Umurinzi, Umuhororo…
Ce projet va contribuer à la lutte contre la sécheresse, à la restauration de la fertilité des sols, à l’augmentation de la production du bois, à la diversification de la production animale et végétale, à la protection de la biodiversité naturelle et à la promotion du retour de la diversité animale, à la stabilisation des berges des rivières et à la protection des forêts naturelles pour promouvoir l’écotourisme. En ce sens des kits pour la production des essences ont été distribués aux acteurs dans le domaine de l’environnement.
Dans la ville de Bujumbura, l’exemple éloquent est celui de la protection des berges de la rivière Ntahangwa. Les travaux de stabilisation des berges étaient couplés à la restauration du couvert végétal. Actuellement, l’école primaire du Jardin Public et l’Eglise pentecôte de Nyakabiga sont hors du danger. Les herbes fixatrices y poussent ainsi que des essences autochtones.

Les campagnes de reforestation devraient se focaliser sur la multiplication des essences autochtones
Des pratiques antiérosives dans les régions à pentes raides
Pour lutter contre l’érosion du sol, les environnementalistes proposent une série d’activités à mener. Ce sont entre autres la protection des collines qui surplombent la ville de Bujumbura par le reboisement, les courbes de niveau, les haies antiérosives, la culture sur des terrasses et la restauration du paysage agroforestier afin de favoriser l’infiltration des eaux de pluies, indique Jean Claude Ndayishimiye, président de l’Association pour la Protection des Animaux Sauvages et leurs Milieux de vie (APRASAMI).
L’ami de la nature Albert Mbonerane abonde dans le même sens et propose une synergie des actions pour aménager des courbes de niveau dans les contreforts des Mirwa. Pour lui, protéger l’environnement est la meilleure façon de prévenir les risques liés aux catastrophes naturelles. «Si on organisait les travaux communautaires, ne fût-ce qu’un seul week-end par mois pour lutter contre l’érosion dans les contreforts des Mirwa, les résultats seraient sans égal sur le court terme», a-t-il proposé dans notre dossier pédagogique paru en mai 2018 sur l’environnement.
L’article 4 du Code de l’environnement stipule que la protection de l’environnement est une obligation pour tout citoyen burundais. Par contre la plupart des personnes ne sont pas préoccupées par les questions environnementales et en font une affaire de l’Etat, commente l’écologiste Mbonerane.
Mise en place des mesures d’accompagnement
Le Burundi s’est doté de son premier code forestier en 1985. A cette époque, une série d’ordonnances d’application de ce code ont été signées, rappelle Albert Mbonerane, ami de la nature. Les périmètres à protéger étaient préalablement délimités et identifiés avant toute activité de reboisement. Le gouvernement avait également mis en place un mécanisme de suivi des plants. L’entretien des aires reboisées était impératif pour assurer la survie des jeunes pousses.
Par contre, de nos jours, les activités ne se limitent qu’à la plantation des arbres et personne n’assure le suivi des essences, laisse entendre Mbonerane. «Au lieu des campagnes de plantations, il faudrait qu’il y ait toute une éducation pour accompagner les jeunes plantules durant les deux premières années. Sinon, tous les efforts consentis en matière de recouvrement du sol seraient vains», prévient-il.
Le pays des hommes intègres, un cas d’école pour le Burundi
Yacouba Sawadogo, l’homme qui a arrêté le désert est devenu célèbre grâce à ses travaux entrepris au Burkina Faso pour stopper la progression du désert. Ce cultivateur de 80 ans a rendu la vie à des terres que l’on croyait gagnées au désert et perdues pour les cultures au Nord du Burkina Faso, dans le sud du Sahel. C’était au début des années 1980 après une période d’aridité particulièrement rude. La technique ancestrale que l’on appelle «zaï», Yacouba Sawadogo l’a adaptée et perfectionnée jusqu’à parvenir, en dépit du scepticisme des habitants de la région, à faire surgir au bout de quelques années une forêt d’une quinzaine d’hectares, mettant ainsi un frein à l’avancée du désert et permettant aux paysans de revenir cultiver leurs terres.
Avec la technique du zaï, cet ardent défenseur de l’environnement a réussi à établir une forêt d’environ 40 hectares sur des terres jusqu’alors infertiles et abandonnées. Cette forêt abrite maintenant plus de 60 espèces différentes d’arbres et d’arbustes. Il est le lauréat du Right Livelihood Award 2018 plus connu sous le nom de « prix Nobel alternatif » pour avoir fait pousser une forêt sur des terres infertiles. Le monde est conscient que les arbres demeurent le moyen le plus efficace de lutter contre l’extension des déserts. En ce sens, le Burundi pourrait s’inspirer de l’expérience des autres pays pour endiguer le phénomène de déforestation qui prend de plus en plus des allures inquiétantes.
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