Agriculture

Réengagement de l’Etat dans la filière café : La prudence s’impose

Dix ans après la privatisation de la filière café, l’Etat a récemment changé d’avis. Cette filière revient désormais dans son giron. Au moment où elle est confrontée à beaucoup d’embûches malgré certaines avancées, la Confédération Nationale des Associations des Caféiculteurs (CENAC-MURIMA W’Isangi) lui fait un clin d’œil pour qu’il agisse avec prudence. Sinon, la situation peut s’empirer

Il y a quelques jours que l’Etat a déclaré que désormais la gestion de la filière café lui revient. La raison de cette décision prise par Déo Guide Rurema, ministre de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Elevage est que la privatisation du secteur café n’a pas généré les résultats escomptés. Pour ce faire, l’Etat a décidé de se réengager dans la filière. Ainsi, une stratégie de redressement, de redynamisation et de pérennisation de la filière café a été présentée au début du mois d’octobre 2019 devant le conseil des ministres. Elle vise notamment la restructuration de tout le secteur.

Joseph Ntirabampa, président de la CENAC- MURIMA W’Isangi : « Je demande à l’Etat de clarifier le sort des caféiculteurs »

Joseph Ntirabampa, président de la CENAC- MURIMA w’Isangi, demande à l’Etat de clarifier le sort des caféiculteurs. Il dit que cette confédération a été mise en place pour défendre les intérêts des caféiculteurs qui étaient menacés. L’augmentation de la production du café était une de ses ambitions. Depuis sa création en 2004, elle essaie de se donner les moyens pour atteindre ses objectifs.  Elle est constituée d’associations collinaires des caféiculteurs. Celles-ci se regroupent en unions au niveau des communes. Ces unions s’organisent en fédérations au niveau des provinces.  Ce sont ces fédérations qui forment la CNAC au niveau national. Actuellement, Ntirabampa indique que la CNAC est composée de 7 fédérations qui représentent 156 unions regroupées dans 167 coopératives à travers tout le pays. Sur chaque colline caféicole, il y a un comité constitué par le chef collinaire, 2 caféiculteurs, 1 monagri (moniteur agricole) de la DPAE et 1 monicafé (moniteur caféicole) de la CNAC.  Ce comité est à l’écoute des caféiculteurs. Il identifie leurs besoins dans la productivité du café.

Parmi les principaux objectifs de la CNAC, l’amélioration des conditions de vie des caféiculteurs occupe une place de choix. A ce propos, la CNAC a déjà mis en place 28 mutuelles de santé à travers tout le pays depuis 2008. Celles-ci se sont coalisées dans une fédération des mutuelles au niveau national, déclare le président de la CNAC. La confédération vise aussi à rehausser la qualité du café et à augmenter sa production. Elle a aussi initié l’union des coopératives qu’on appelle Consortium des Coopératives des Caféiculteurs (COCOCA). Ces coopératives ont été mises ensemble pour vendre leur café sur le marché international sans passer par des intermédiaires. La CNAC s’est heurtée à un problème à ce niveau. Elle est une ASBL et, à ce titre, elle ne peut pas procéder aux opérations commerciales. La coopérative qui est une association à but lucratif pouvait le faire. C’est pour cette raison qu’on a eu recours à cette solution pour contourner cet obstacle, précise M. Ntirabampa.

La CNAC entretient des pépinières de plants qui sont distribués gratuitement aux caféiculteurs, indique M. Ntirabampa. Plus de 40 millions de plants de caféiers ont été produits.  En collaboration avec les DPAE, elle disponibilise des moniteurs caféicoles qui suivent de près les caféiculteurs. Ce sont eux qui se chargent de leur encadrement au quotidien. On leur montre notamment comment produire des engrais organiques à partir des pulpes de café.  « Nous avons mis en place une institution de microfinance pour donner des crédits uniquement aux caféiculteurs a un taux intéressant (12%) », révèle- t- il.

Lorsque l’Etat a privatisé la filière café, Ntirabampa fait savoir que la CENAC a crié haut et fort en lui signifiant que des conséquences fâcheuses pourront s’abattre sur les caféiculteurs.  Ce que la CENAC avait prédit n’a pas tardé à se manifester. C’est entre autre la chute du prix du café cerise. Auparavant, le prix du café cerise était à 630 FBu par kg. Néanmoins, après la privatisation de cette filière, il a été fixé à 350F. Aujourd’hui, il revient à 500 FBu le kg alors qu’il s’achète à pas moins de 1000 FBu dans les pays de l’EAC.

Le prix de vente versé au caféiculteur reste faible

Le président de la CNAC est conscient que le prix de vente versé au caféiculteur reste faible si on se réfère au coût de production et aux autres paramètres qui entrent en compte dans la fixation du prix du café. A ce sujet, il trouve que ce serait bénéfique pour le caféiculteur si le prix était fixé après la récolte, car actuellement ce prix est fixé au mois de mars-avril alors que les caféiers sont encore en fleurs. Il est donc calculé à partir des projections. Il serait intéressant de fixer ce prix à partir des données concrètes, plaide le président de la CNAC. Ce prix est calculé à partir de la moyenne du prix de New York. Ensuite, on estime la production qu’on va avoir pour l’exercice concerné. On y intègre aussi les prévisions du taux de change. On tient également compte de la qualité du café qui sera produit. Et puis on considère le coût de production supporté par le caféiculteur et les sociétés de dépulpage. C’est comme ça qu’on arrive à calculer le prix du café. Mais tout cela est trop estimatif. Il faudrait peut-être se baser sur des données palpables.   Cela favorise la transparence dans la fixation de ce prix. Par exemple, le calcul du coût de production supporte par les dépulpeurs n’est pas basé sur une étude. On estime que le coût de production supporté par le caféiculteur est de 400 FBu alors que celui du dépulpeur dépasserait les 1400 FBu. Selon Ntirabampa, il n’y a pas de cohérence.

La culture du café a été introduite au Burundi en 1920

L’insuffisance et la cherté des fertilisants

De plus, les caféiculteurs font face à une insuffisance des fertilisants. « Avec la quantité d’engrais chimiques disponibles, nous ne pouvons pas fertiliser tous les pieds de caféiers estimés à plus de 170 millions au niveau national », fait remarquer Ntirabampa.    Et d’ajouter que ces engrais sont chers, car ils s’achètent à 900 FBu le kg.

D’autres griefs

De plus, certaines sociétés ont du mal à payer les caféiculteurs. Cette année, cinq sociétés n’ont pas encore payé leurs fournisseurs de café cerise depuis le mois de février suite à leur situation financière qui ne se porte pas bien. Les raisons sont entre autres les équipements qui sont en piteux état et le sureffectif du personnel. Selon toujours lui, les caféiculteurs peinent à trouver le paillis. De surcroît, Ntirabampa fait savoir que les réformes que l’Etat ne cesse d’opérer et de façon inopinée perturbe les opérateurs dans ce domaine. Lorsqu’on a annoncé la privatisation de la filière café, pas mal d’opérateurs y ont investi. Sur 133 stations de lavage, 41 ont été vendues aux investisseurs privés.  D’autres ont construit les leurs.

La privatisation du secteur a attiré des investissements d’origine nationale et internationale dans les opérations de transformation du café. Le nombre de stations de lavage est passé de 133 en 2008 à 267 dix ans plus tard. Le nombre d’usines de déparchage et de conditionnement a également plus que doublé au cours de la même période, passant de quatre à neuf. Même la société de déparchage située à Gitega a été vendue aux privés.

Bienvenu l’Etat dans la gestion de la filière café

Ntirabampa souhaite la bienvenue à l’Etat dans la gestion de la filière café. Il pense que les griefs constates dans ce secteur pourront être maîtrisés. Néanmoins, il l’invite à plus d’attention avant de s’y réengager. Il l’invite à voir si chaque partenaire dans la filière café, chacun en ce qui le concerne, a bien accompli sa mission. Sinon, s’il se lance dans la production, la transformation et la commercialisation du café, il aura du mal à gagner le pari. A propos du rapatriement des devises, du paiement des caféiculteurs et des taxes, Ntirabampa indique qu’il revient à l’ARFIC de vérifier si tout a été bien fait du côté des sociétés privées qui font la commercialisation du café vert. Sinon, il souligne que l’Etat pourra rencontrer beaucoup de difficultés s’il se lance dans le dépulpage, le déparchage et la commercialisation du café.

Certaines sociétés ont du mal à payer les caféiculteurs

Ntirabampa se pose pas mal de questions : l’Etat va-t-il rembourser les frais payés lors de l’achat d’une quarantaine de stations de lavage et de la construction d’autres stations par les opérateurs privés ? Sur ce même sujet, la Banque Mondiale a annulé une dette de 44 millions USD au profit du Burundi pour l’inciter à se désengager dans la gestion de la filière café. Va-t-il remettre cette cagnotte, se questionne-t-il.

Nonobstant, malgré les défis auxquels le secteur est confronté, Ntirabampa fait savoir que quelques avancées s’observent. Au niveau de la qualité, le Burundi occupe la première place depuis 2016. Néanmoins, au niveau de la production, les statistiques montrent que la production varie depuis 2012 jusqu’à nos jours pour des raisons liées aux aléas climatiques et les dégâts causés par les insectes ravageurs. Le vieillissement du verger caféicole ajoute du drame le drame au niveau du rendement. Pour inverser la tendance, plus de 9 millions de vieux pieds de caféiers ont été remplacés. A peu près 17 millions de pieds de caféiers ont été taillés. Avec la saison culturale 2019-2020, il affirme que la production pourra dépasser celle de l’année écoulée estimée à 25 677 tonnes de café vert.

La récolte du café varie d’une saison culturale à une autre

Période

Récolte du café vert en tonnes

2012-2013

23 775

2013-2014

10 753

2014-2015

14 687

2015-2016

18 078

2016-2017

13 230

2017-2018

17 013

2018-2019

25 677

Quid de la contribution des sociétés privées opérant dans la filière café ?

Même si l’Etat a annoncé son réengagement dans la gestion de la filière café, Ntirabampa note qu’il n’est pas facile de connaître la part des sociétés privées œuvrant dans ce secteur. Selon lui, la raison est qu’on n’a pas encore mis à la portée de tout le monde la stratégie de redressement, de redynamisation et de pérennisation de la filière café qui indique, d’amont en aval, la faisabilité de la déprivatisation de la filière café.

La culture du café a été introduite au Burundi en 1920. Depuis lors, elle constitue le principal secteur pourvoyeur de devises. Selon un communiqué lu par le porte-parole du gouvernement Prosper Ntahorwamiye, la filière café a été en grande partie privatisée jusqu’en 1976 mais, malheureusement, la production ne s’est pas accrue. Un avis partagé par les experts qui ont mené une étude sur la filière café qui alerte sur la régression de la productivité.

A propos de l'auteur

Jean Marie Vianney Niyongabo.

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