Sur 1507 hectares que la société exploitait, il ne lui reste que 4 hectares. Avec cette superficie, il pourra difficilement alimenter en matières premières ses usines de transformation, car son bloc industriel en produisait entre 70 et 80%. Ses 300 emplois permanents sont menacés. Pourra-il maintenir son chiffre d’affaires de 650 millions de FBu ? Les 3000 cultivateurs de Patchouli continueront-ils à profiter des revenus qu’ils tiraient de cette plante ? Les autorités de la société estiment le nombre de ménages qui seront directement ou indirectement touchés par la réduction de ses exploitations à 20 mille. D’une valeur globale de 6 milliards de FBu, le projet risque de mettre la clé sous la porte. Burundi Eco revient sur les conséquences socio-économiques de la décision de confiscation des terres exploitées par Rugofarm.

Les feuilles de Pachouli au séchoir de Rugofarm
Rugofarm est situé sur la colline Gabiro-Ruvyagira, à plus ou moins deux kilomètres du centre de négoce de Rugombo. Ses installations se trouvent à quelques mètres de la route reliant Rugombo à la frontière rwandaise de Ruhwa. Un bloc de bâtiments administratifs et 8 hangars avec 3 gîtes attenantes sont entourés par des plantations luxuriantes de palmiers à huile et d’autres plantes qui s’étendent sur des centaines d’hectares. Les bâtiments abritent aussi l’usine de transformation de l’huile de Patchouli d’une valeur de 650 millions de FBu. Plus loin, il y a une unité d’extraction de l’huile de palme. A l’intérieur du complexe, six grandes aires de séchage du riz et d’autres céréales s’offrent à la vue du visiteur. Un moulin de décorticage du riz est installé dans un coin reculé. Les employés s’activent. Les agronomes en bottes sont pressés de partir dans les champs. Le reporter de Burundi Eco y est arrivé aux premières heures de la matinée. Il a été accueilli par le directeur du complexe, M. Janvier Miburo. Son air préoccupé contraste avec l’activité intense qui y règne. Depuis que la décision de lui enlever la quasi-totalité de ses exploitations agricoles a été prise, une incertitude plane sur l’avenir de cette société qui faisait pourtant la fierté des habitants de Rugombo.
Rugofarm, des chiffres qui parlent
Depuis les années 1991, Rugofarm est parvenu à s’implanter dans le secteur de l’Agro-industrie. A côté des installations pour la transformation industrielle, il possède 500 hectares de plantation de palmiers à huile, une plantation de bananiers de 50 hectares. Le Patchouli, quant à lui, occupe une surface de 60 ha dont 30 en bloc industriel, le reste étant exploité par les villageois. Ses vastes champs sont desservis par un réseau de canaux d’irrigation (primaires et secondaires) de plus de 40 km. C’est d’ailleurs pour cette raison que les plantations sont luxuriantes alors qu’on est en pleine saison sèche. Cette propriété est aussi serpentée par un réseau de pistes qui facilite la collecte des récoltes.
650 millions de FBu de chiffre d’affaires
D’après Chadric Habonimana, son directeur général (DG), Rogofarm a dégagé 650 millions de FBu de chiffre d’affaires l’année passée dont 450 millions de FBu provenant de la seule exploitation de l’huile de Patchouli. Selon toujours les données fournies par le DG, la société produit annuellement 3000 tonnes de riz. 300 employés permanents y travaillent dont des agronomes industriels et agricoles, des techniciens agricoles, des ouvriers et un staff administratif avec une masse salariale mensuelle de plus de 15 millions de FBu. Il emploie aussi 1000 travailleurs saisonniers qu’il rémunère à hauteur de 15 millions de FBu selon les estimations de M. Habonimana.
La décision de la CNTB aura de graves conséquences

Les 4 hectares couvrent à peines les intallation de Rugofam
« Si la décision de la Cour Spéciale de la Commission Nationale des Terres et autres Biens (CNTB) de remettre les terres qu’on exploitait à l’Etat devient irrévocable, les conséquences seront catastrophiques. Le bloc industriel fournissait 70 à 80% de la matière première utilisée dans la production de l’huile de Patchouli. Les planteurs de l’extérieur, c’est-à-dire de Mugina, Murwi et Mabayi complètent le reste des besoins en matières premières. Si l’Etat décide de prendre nos plantations de palmiers à huile et de Patchouli qui poussent à l’ombre des palmiers, on manquera de matières premières à coup sûr. On pourrait difficilement continuer avec seulement les planteurs externes, mais ce qui est sûr c’est qu’il y aura une diminution drastique de la production avec des impacts à des niveaux divers. Plus de 80% des employés devront partir. On restera avec les encadreurs des planteurs externes.
Les contrats de fourniture, un coup de massue pour Rugofarm
On avait déjà signé des contrats d’exportations avec des clients. Il y a des livraisons qui devaient se faire. Certains d’entre eux avaient déjà payé des avances ou des acomptes. Comment va-t-on faire pour honorer nos engagements si on ne peut pas récolter le Patchouli, se demande mélancoliquement le DG de Rugofarm. Cela aura des conséquences énormes sur l’entreprise qui devra payer ce manque à gagner. En termes d’image, la décision aura des conséquences désastreuses. L’image de la société et celle de l’Etat seront durablement écornées. Le Patchouli du Burundi était devenu une marque appréciée au niveau international. Si on ne parvient pas à honorer les contrats parce que l’Etat a pris notre propriété, on dira que les Burundais ne sont pas sérieux en affaires. Les entrepreneurs y penseront deux fois avant de venir investir chez nous, déclare le DG de Rugofarm.
L’Etat perdra aussi.
Les employés de Rugofarm payaient des impôts à l’Etat. La société aussi. L’année passée elle a payé 10 millions de FBu d’impôts. Ce n’est pas beaucoup parce que les exportations sont exonérées de certaines taxes. Mais on comptait porter les exportations de Patchouli de 1, 5 tonnes à 4 tonnes dès l’année prochaine. Ça veut dire que les taxes perçues par l’Etat allaient augmenter.
Si la décision de la CNTB occasionnera de lourdes conséquences pour la société Rugofarm, elle sera désastreuse pour la population. Plus de 3000 ménages cultuvaient le Patchouli. 5000 agriculteurs pratiquaient la culture du riz Padi dans les champs du complexe avec 3000 mille tonnes de récoltes annuelles. Bien plus, si les produits vivriers sont abordables au marché de Rugombo, c’est en partie grâce au dynamisme de Rugofarm. Janvier Miburo, directeur de cette société estime qu’au moins 20. 000 ménages seront plus ou moins touchés si la décision devient irrévocable.
« Quand les éléphants maigrissent, les antilopes meurent »

Plantation de Patchouli exploitée par une cultivatrice de Rugombo dans les champs de Rugofarm
Berina Kabera est une dame d’un certain âge. Le reporter de Burundi Eco l’a rencontrée dans son champ en train de cueillir les feuilles de Patchouli avec quelques membres de sa famille. Elle dit avoir entendu la décision prise en défaveur de Rugofarm par la CNTB. A la question de savoir si cette décision aura des conséquences sur les agriculteurs, sa réponse fuse. « Turaheze », ce qui veut dire : nous sommes finis. Nous cultivions du maïs, des aubergines, des choux, du riz toute l’année parce que les champs sont irrigués. Je cultive le Patchouli depuis quelques années.
Cette plante m’a permis de construire une maison en tôles et de m’acheter des habits à moi et à mes enfants. L’année passée, j’ai gagné 350 mille FBu grâce au Patchouli. Hors mis Cibitoke, nos récoltes sont vendues même dans d’autres provinces du pays comme Kayanza, Ngozi et ailleurs. Ceux qui les achetaient ne pourront plus les trouver. Si l’Etat reprend les champs, il va falloir retourner d’où on est venu, déplore Mme Kebera. Rugofarm nous empruntait de l’argent qu’il récupérait après la récolte. Cela nous aidait beaucoup quand nous avions des difficultés. Ça va être dur si on nous chasse des champs. Comment allons-nous nourrir nos enfants ?, se demande la dame.
« Eviter des mesures qui appauvrissent les petits cultivateurs »
Jean-Claude Baranyizigiye allait arroser ses champs quand le reporter de Burundi Eco a pris contact avec lui. Il cultive entre autres le riz et le haricot dans les champs de Rugofarm. Il dit être satisfait de la rentabilité de ses champs. Il ajoute qu’il gagne plus d’un million de FBu quand il vend sa récolte de riz. L’avantage avec les champs de Rugofarm est qu’on cultive toute l’année parce que les champs sont constamment irrigués. Depuis la décision de la Cour Spéciale de la CNTB qui enlève à Rugofarm la propriété d’une grande partie de ses terres, il doute de son avenir. Il craint que quand l’Etat les reprendra, les petits exploitants ne soient chassés.
La gestion des terres ne sera peut-être pas aussi efficace si elle revient à l’Etat, annonce un Baranyizigiye dubitatif. Certains champs étaient réservés au riz, au Patchouli et à bien d’autres plantes. C’était bien planifié par Rugofarm. On était très content. Il nous suffisait de payer les frais de location et Rugofarm nous accompagnait dans l’exploitation des champs. Maintenant que la propriété va être cédée à l’Etat, on ne sait pas de quoi demain sera faite. On attend. M. Baranyizigiye demande à l’Etat et à Rugofarm de trouver un terrain d’entente et d’éviter des mesures qui pourraient appauvrir les petits cultivateurs.
Le personnel en désarroi

Le chaudière qui fournit la vapeur nécessaire à l’extraxtion de l’huile des feuilles séchées de Pacthouli
La décision de la CNTB a été un coup de tonnerre pour les employés de Rugofarm qui vivent désormais dans la hantise de se retrouver dans la rue du jour au lendemain. La perte sèche de revenus aura des conséquences terribles sur eux et leurs familles. C’est ce que déclare en substance Richard Niyonsaba, technicien agricole de Rugofarm rencontré à l’usine d’extraction de l’huile de palme de cette société. Marié et père de 2 enfants, il travaille pour la société depuis 2011. Avec un contrat de travail en bonne due forme, il n’a aucune autre source de revenus. Nos familles vont mourir de faim. La société fait vivre beaucoup de familles. Je ne comprends pas comment une décision qui met en difficulté une société qui fait vivre des milliers de familles a pu être prise, s’emporte le technicien agricole. Il demande à l’Etat d’user de son pouvoir pour annuler cette mesure et de trouver une solution alternative à ce litige.
Le chef de l’usine doute désormais de l’avenir
Dieudonné Nshimirimana est chef de l’usine de production de Patchouli. Après avoir expliqué rapidement le processus d’extraction de l’huile essentielle de Patchouli au reporter de Burundi Eco, sa mine se renferme quand ce dernier évoque le problème de réduction drastique des effectifs envisagée par la direction générale de l’entreprise suite à la mesure récemment prise de priver Rugofarm des terres qu’elle exploitait. Il parle d’une voix forte à cause du bruit des machines. Les employés sont découragés. Les cultivateurs aussi sont affectés. Ils se demandent s’ils continueront à bien vendre les feuilles de Patchouli maintenant que l’acheteur est en difficultés, indique le chef d’usine. Une équipe de 14 techniciens sous sa direction se relaie pour faire fonctionner l’usine de distillation de l’huile de Patchouli. M. Nshimirimana est chef de famille. Mais à côté de sa famille nucléaire, c’est lui qui subvenait aux besoins de ses frères. Il dit entretenir ces deux ménages grâce uniquement au salaire que lui verse son employeur. Il doute désormais de l’avenir à cause la mesure de la CNTB.
Des dommages collatéraux

Le tamisage des fruits de palmier produits dans le bloc industriel de Rugofarm
Dans le cadre de la promotion de ses produits, Rugofarm était en relation avec d’autres partenaires. Il avait initié un projet d’une valeur de 800 mille USD pour la vulgarisation de la culture de Patchouli avec Trade Mark East Africa. Heureusement, ce projet est déjà bouclé. Tout l’argent avait été débloqué. Mais en ce qui concerne l’impact du projet, quand on investit c’est pour que cela aide les gens à se développer. Si on arrête de cultiver le Patchouli, Trade Mark East Africa perd en quelque sorte. En ce qui concerne notre client Français, lui il a beaucoup à perdre dans cette histoire, annonce le DG de Rugofarm. C’est quand même un projet d’une dizaine d’années. Il nous a accompagné dès l’introduction de Patchouli depuis l’Indonésie.
Il a financé les tests d’acclimatation en France et d’adaptabilité au Burundi. Il était là dès les premiers tests de distillation. Il a investi dans le développement de la marque Patchouli du Burundi. C’est énorme les efforts qu’il a fournis depuis des années. Si on balaie tous ses efforts d’un revers de la main, c’est grave. Nous comptions leur fournir 100 tonnes sur dix ans pour une valeur de 5 millions USD. Nous pensions également accroître le nombre de cultivateurs de Patchouli à 10.000. Cela c’est ce qui peut être chiffré. Il est d’autres aspects qui sont difficilement chiffrables, souligne M. Habonimana.
Tout espoir n’est pas encore perdu
Le DG de Rugofarm n’a pas encore perdu tout espoir. Le ministère du Commerce et d’Industrie nous soutenait il n’y a pas longtemps. Nous pensons que cette mesure est le fruit des gens trop zélés. Nous croyons dur comme fer qu’il n’y a pas la main de l’Etat derrière cette affaire. Le projet Rugofarm a en tout une valeur de plus de 6,5 milliards de FBu dont 650 millions FBU pour la seule usine d’extraction de l’huile de Patchouli. Il serait bête de laisser une telle réalisation partir en fumée. Nous espérons que la demande en révision introduite devant l’autorité habilitée permettra de rectifier le tir, déclare M. Habonimana.
En tout état de cause, la fermeture de Rugofarm serait un mauvais signal pour les investisseurs tant nationaux qu’internationaux. Cela ne ferait que contribuer à la détérioration du climat des affaires qui est déjà mal en point comme le signalait tantôt le président de PARCEM dans une conférence de presse. Espérons que les autorités habilitées auront compris les enjeux qui sont dans la balance et qu’elles décideront en connaissance de cause le moment venu.
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