Les environnementalistes, les scientifiques et les vendeurs de poissons sont unanimes sur les dangers qui minent le secteur de la pêche. La pollution, la pêche illicite couplée à la pêche intensive et la dégradation de l’environnement sont citées comme principales causes de la diminution des produits halieutiques. Les spécialistes proposent des alternatives pour une gestion durable de la biodiversité du lac Tanganyika
Le lac Tanganyika est un grand réservoir d’eau douce. Les scientifiques estiment que les eaux du lac Tanganyika représentent près de 20% de l’eau douce disponible sur la terre. En outre, sa faune et sa flore sont diversifiées : plus de 2000 espèces animales et végétales. Et plus ou moins 600 de ces espèces, sont endémiques, selon les biologistes. Une nouvelle étude vient d’élucider que les sardines dans lac sont génétiquement uniforme et ne contient donc pas de sous-groupes, révèle Mme Els De Keyzer, chercheure et auteure de l’étude. Ceci implique qu’une surpêche dans une partie du lac fait diminuer également le nombre des sardines ailleurs.

La conservation du poisson pose problème. Les vendeurs font recours au fumage du poisson pour le commercialiser plus tard. (Photo tirée de l’internet)
Pourtant, malgré l’abondance des ressources halieutiques dans le lac Tanganyika, les scientifiques craignent la disparition systématique de pas mal d’espèces, notamment les poissons. Les produits halieutiques n’y prolifèrent plus. Les statistiques démontrent que la production des poissons dans le lac est passé de 77 165 tonnes à 27 706 tonnes entre 2004 et 2016.
Les prix flambent sur le marché
L’une des conséquences directes de la diminution des produits halieutiques est la fluctuation de leurs prix sur le marché. Les prix fluctuent en fonction de l’offre. Quand il y a surabondance des poissons, les prix chutent considérablement. « Entre juillet et décembre, le prix des Ndagala variait entre 15 000 FBu et 17 000 FBu », indique Albert Nyandwi, vendeur de poissons rencontré au marché COTEBU. Il ajoute que les prix de ces produits restent volatiles. A la même période, le prix du poisson dit Mukeke oscillait entre 10 000 et 20 000 FBu. Par contre, ces derniers jours, il a chuté de moitié suite à l’abondance des poissons.
Certaines espèces sont en voie de disparition
Nyandwi fustige l’augmentation des professionnels du secteur de la pêche. Dans le temps, les pêcheurs grecs qui effectuaient ce travail étaient moins nombreux. A l’heure actuelle, beaucoup de personnes affluent vers le secteur de la pêche. On dénombre plus de 17 sites de débarquement des poissons sur le littoral du lac Tanganyika alors qu’il y avait moins de la moitié il y a 50 ans. Par conséquent, les pêcheurs n’hésitent pas à franchir les zones de frayère. « Nous avons déjà senti l’impact de ce phénomène car, auparavant, il y avait des gros poissons tels que les capitaines et les Sangala. Par ailleurs, ces espèces de poissons se raréfient de plus en plus sur le marché », confie-t-il.
Selon toujours lui, le mois de juillet était d’habitude très productif. Il y avait une surabondance de poissons et on commercialisait de temps en temps des capitaines. Mais ces derniers jours, il y a un manque criant de ce genre de poissons, s’inquiète-t-il. Les pêcheurs ne laissent pas le temps aux poissons de se reproduire et d’arriver à maturité, s’indigne Nyandwi. « Si on ne prend pas de mesures sérieuses dans ce domaine, le poisson pourrait disparaître à jamais », fait-il remarquer.
La surpêche aggrave la situation
Les produits halieutiques, surtout les poissons « Mukeke » et «Ndagala» font vivre beaucoup de Burundais et les habitants des pays limitrophes. La croissance démographique booste la demande. Ce qui fait que les pêcheurs remuent ciel et terre pour satisfaire la demande. Face à la recrudescence des activités de pêche, les autorités ont du mal à réprimer la pêche illicite.
Les zones de reproduction constituent la cible des utilisateurs des matériels illégaux. Durant l’année 2017, les comités de pêcheurs sur les différents ports de pêche ont saisi et détruit plus de 5955 engins illégaux de pêche dont 153 sennes de plages, 79 filets maillants encerclant, 461 filets maillants mono filament (Kamusipi) et 5262 moustiquaires, lit-on dans le rapport d’activités de la fédération des pêcheurs et fournisseurs du poisson au Burundi (FPFPB) en 2017. Lapêche illicite a des conséquences néfastes sur le stock de poissons du lac, car les recherches ont démontré que 1 kg d’alevins pourrait donner 1000 kg à l’âge mature, apprend-on du rapport.
La pollution, l’autre menace
Il existe plusieurs raisons qui font que la biodiversité du lac soit menacée. Il s’agit surtout de la pollution sous toutes ses formes. Le Global Nature Fund (GNF) a nommé le Lac Tanganyika comme « le lac le plus menacé de l’année ». C’était lors de la journée mondiale des zones humides en février 2017. Les déchets industriels et ménagers sont charriés directement vers le lac sans pré-traitement. En plus des déchets, les eaux de ruissellement issuesdes bassins versants des affluents du lac contribuent à la diminution des poissons.
L’autre raison est liée à la perturbation de l’écosystème aquatique. Ces derniers jours, les hippopotames sont menacés dans leur habitat. Or, par la relation de symbiose, les hippopotames influent sur l’augmentation des poissons. En d’autres termes, si les hippopotames disparaissent, les poissons disparaissent également. Les poissons se nourrissent des déjections des hippopotames. Donc, il faut à tout prix protéger les hippopotames. Sinon leur disparition entrainera une diminution progressive des poissons, insiste Ndayishimiye.

La pêche illicite a des conséquences néfastes sur le stock de poissons, surtout avec l’utilisation des moustiquaires.
La diversification des moyens de subsistance, une alternative
Sur le volet socio-économique, les pêcheurs comme les vendeurs de poissons sont conscients du danger qui les guette. Les pêcheurs constatent que les poissons capturés deviennent de plus en plus très petits et très difficiles à trouver. Mais ils ne peuvent rien faire parce qu’ils n’ont pas d’alternatives, car la pêche est leur mode de survie, rapporte Mme De Keyzer. L’environnementaliste Ndayishimiye abonde dans le même sens et propose l’élaboration des programmes pouvant aiderles pêcheurs à diversifier les ources de revenus. Si on garde le rythme actuel, les produits halieutiques pourraient disparaître à jamais.
La fermeture du lac pendant une semaine n’est pas suffisante pour permettre la reproduction des poissons. « Elle se base sur le cycle de lune parce que les poissons sont capturés grâce à la lumière des lampes. En pleine lune, les pêcheurs sont obligés de suspendre les activités, car la lumière de la lune est trop forte », décrit Mme De Keyzer. Pour elle, cela n’est pas du tout une bonne raison de suspendre les activités de pêche, car elle ne tient pas compte du contexte biologique. Les deux spécialistes divergent sur la période de fermeture du lac indispensable à la reproduction des poissons. Mme De Keyzer dit qu’on a besoin de plus de recherche scientifique pour savoir quelle longueur de fermeture sera utile. Par contre, Ndayishimiye réclame des études qui devraient aboutir à une période de fermeture du lac ne dépassant pas un mois.
La protection de l’environnement est impérative
Pas mal de personnes ignorent l’impact de la pollution sur la biodiversité. Les activités à mener en amont en matière de protection de l’environnement sont entre autres la lutte contre l’érosion superficielle en protégeant les montagnes qui surplombent la ville de Bujumbura par le reboisement, les courbes de niveaux, les haies antiérosives, la culture sur des terrasses et la restauration du paysage agroforestier afin de favoriser l’infiltration des eaux de pluie.
Le traitement des déchets ménagers doit être pris au sérieux. Pour Ndayishimiye, le littoral du lac mérite une attention particulière, car il s’y observe des plantes invasives qu’il faut arracher. Les plages doivent être nettoyées parfaitement et les poubelles publiques installées pour stocker les déchets. Les pêcheurs n’ont pas de toilettes, mais paradoxalement ils sont là tous les jours, s’inquiète-t-il.
Pour couronner le tout, Ndayishimiye suggère la mise en place des comités de gestion constitués par les usagers du littoral qui doivent être initiés pour s’occuper quotidiennement de l’entretien du lac. En ce qui concerne la pollution industrielle, il évoque le principe de pollueur-payeur. En fonction du degré de pollution, chaque pollueur devrait payer des amendes correspondant à la technique qui sera utilisée lors la dépollution.
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