Economie

Le secteur de l’hôtellerie et tourisme, cet enfant oublié de la famille

La pandémie de la Covid-19, le non-aménagement des sites touristiques, l’octroi du visa touristique, le manque de cadre légal réglementant le secteur de l’hôtellerie et du tourisme sont certains des défis auxquels est confronté ce secteur. Procéder au marketing de l’image du pays et à l’opérationnalisation effective de la stratégie nationale de développement du tourisme s’avère une urgence pour le valoriser

Dans la municipalité de Bujumbura, les hôteliers lancent un cri d’alarme du fait qu’ils travaillent à perte suite au manque de clients. Dans un entretien avec les gérants de deux hôtels situés dans le quartier Rohero II de la commune Mukaza, le constat est que les hôteliers ont des difficultés pour payer le personnel. Ils s’inquiètent du fait que certains de leurs collègues ont été licenciés. Pour d’autres, leurs salaires ont été réduits de moitié. Selon ces gérants, la baisse des revenus enregistrée par les hôteliers s’observe depuis 2015.

Depuis cette période, on trouvait que 10 chambres sur 40 dont dispose l’hôtel sont occupées. La situation évolue d’année en année. Néanmoins, la pandémie de la Covid-19 vient aggraver la situation.  Ils se lamentent du fait que les hôtels sont presque vides de clients.  Si la situation reste ainsi, ils précisent qu’ils vont mettre la clé sur la porte. Ils demandent à l’Etat de s’impliquer beaucoup plus pour inverser la tendance. Selon ces derniers, le développement de la coopération avec la communauté internationale est une nécessité pour gagner le pari.   

Georges Nikiza de l’Office National du Tourisme (ONT) affirme que ce secteur est émaillé de pas mal de défis qui l’empêchent de se développer malgré qu’il doive faire partie des secteurs porteurs de croissance. En 2010, une stratégie nationale de développement durable du tourisme a été adoptée et a tracé sa ligne directrice.  Elle décrit de façon détaillée les travaux à effectuer dont l’aménagement des sites. Il inclut aussi les activités de développement du tourisme au niveau du marketing.

Malheureusement, elle a été mise à mal en 2015 lorsqu’a éclaté la crise post-électorale. Certains burundais ont quitté le pays. Tout a été chambardé. Le secteur de l’hôtellerie et du tourisme n’a pas été épargné. A partir de cette période, les touristes viennent à compte-gouttes et les hôteliers en ont beaucoup souffert. Ils ont manqué de clients, car ils avaient peur qu’on ne leur fasse du mal.  On a noirci l’image de notre pays.

Manque de cadre légal, un défi majeur

Un autre défi qu’il qualifie de majeur est le manque d’un cadre légal qui réglemente le secteur de l’hôtellerie et du tourisme. Un effort a été fourni par le gouvernement dans l’optique de promouvoir ce secteur en mettant en place une commission nationale du développement durable du tourisme. Néanmoins, elle n’a jamais été fonctionnelle. Elle a été morte née. Cette situation a fait que les programmes prévus pour le développement de ce secteur tombent à l’eau.  Jusqu’aujourd’hui, il n’y a pas de loi qui régit ce secteur. On travaille sans domaine de définition.

Un secteur en dehors de son concept professionnel

De surcroît, Nikiza fait savoir que ce secteur est en dehors de son concept professionnel. En principe, il n’a pas de raison d’être s’il est amputé des éléments clés comme la faune, la flore et la culture. Tous ces éléments sont en principe intimement liés. Le secteur de l’hôtellerie et tourisme n’a donc pas de pieds pour fonctionner.  Chaque élément a son ministère gérant alors qu’ils devraient en principe être gérés par un même ministère. Par conséquent, il y a des chevauchements. Chacun veut accaparer le secteur du tourisme. A titre d’exemple, ces derniers jours, il y a eu un projet d’organiser un festival du tambour chaque année. C’était une opportunité pour booster le secteur. C’était une chance pour développer le tourisme de masse. Néanmoins, il a été abandonné. Il y a eu des tiraillements, car le tambour est géré au niveau du ministère de la Culture. Tous ces éléments montrent que le secteur de l’hôtellerie et du tourisme n’est pas défini dans son concept professionnel.

Au niveau du parc national de la Rusizi,les touristes se font rares. Les bateaux qui servaient de transport aux visiteurs sont à l’arrêt.

De plus, Nikiza fait remarquer que le secteur de l’hôtellerie et du tourisme est comme un enfant oublié de la famille. Le budget y alloué est insuffisant de telle manière que si on analyse l’enveloppe y affecté, on remarque qu’elle est minime à tel point qu’on ne peut pas aménager même un seul site touristique. Selon lui, l’Etat devrait y injecter des fonds suffisants, car c’est un secteur multisectoriel qui demande beaucoup d’argent. Le secteur privé, l’Etat et les bailleurs de fonds devraient agir en synergie pour inverser la tendance.

Les gestionnaires de ce secteur n’ont pas des informations suffisantes

Selon Nikiza, un autre défi est lié à l’état des lieux des connaissances des gestionnaires de ce secteur appelés à prendre des décisions sur son sort. Ils n’ont pas d’informations suffisantes pour le redynamiser. Cela crée un imbroglio au niveau de son fonctionnement. Chaque fois qu’on change de ministre, les programmes prévus pour la promotion du secteur de l’hôtellerie et du tourisme changent aussi. «C’est comme si nous étions dans un lac où on a plusieurs personnes sur le gouvernail d’un bateau, où chacun conduit vers là où il veut», renchérit-il.

Cherté des tickets d’avion, octroi du visa touristique, casse-tête

Selon toujours Nikiza, toutes ces embûches sont à l’origine d’autres conséquences non négligeables.  Ce sont entre autres la cherté des tickets d’avion et la lenteur des procédures administratives qui constitue un casse-tête dans l’octroi du visa touristique. En 2018, on a dit que seuls trois pays de l’EAC utilisent le visa touristique unique. Il s’agit du Kenya, du Rwanda et de l’Ouganda.  Au niveau du Burundi, l’ONT fait savoir qu’il y a déjà une loi sur le visa touristique. Mais le visa touristique unique est une étape qui n’a pas encore été accomplie. Pour y arriver, il faut une interconnexion de façon qu’un touriste qui entre au Burundi soit automatiquement enregistré dans les autres pays de l’EAC, mais il existe un problème technique. L’autre handicap évoqué c’est le manque des infrastructures électroniques au niveau des frontières et le processus de négociation du visa. Il estime que cela serait dû au manque de financement puisque ces équipements sont déjà installés uniquement à Kobero et Gasenyi. On précise que le programme est en cours puisqu’ on a une loi sur le visa touristique qui a réduit son coût de 90 USD à 50 USD. Ce qui explique que s’il s’agit d’un touriste, il paie 50 USD alors qu’un autre visiteur paie 90 USD. Nikiza fait savoir qu’au moment où les hôtels surtout de la municipalité de Bujumbura sont vides, le tourisme intérieur est au beau fixe par rapport au tourisme récepteur. On trouve souvent qu’à l’intérieur du pays dans les provinces comme Ngozi, Gitega, etc, les hôteliers ont des clients.

Evolution des entrées des touristes de 2010 à 2017

Années

Voie aérienne

Voie maritime

Voie terrestre

TOTAL

2010

32 731

25 615

83 963

142 309

2011

22 504

23 122

98 756

144 381

2012

36 435

23 289

87985

147 709

2013

76 567

24 719

132 768

234 054

2014

63 214

34 673

137 775

235 662

2015

21 321

29 876

80 294

131 491

2016

39 871

53 485

93 720

187 076

2017

44 391

15 940

239 000

299 331

La Covid-19 a mis de l’huile sur le feu

Nikiza indique aussi que la Covid-19 a mis l’huile sur le feu. Il a frappé de plein fouet le secteur de l’hôtellerie et tourisme. Et d’ajouter que le faible marketing du pays fait que ce secteur ne se développe pas. Tout le monde devrait agir en synergie pour redorer l’image du pays afin que les étrangers viennent le visiter.  Si 2015 et 2016 ont été des années sombres pour l’économie burundaise en général et pour le secteur du tourisme en particulier, 2017 semble avoir été l’année de la relance économique. Néanmoins, les statistiques ne sont pas suffisantes comme on le souhaite au regard des opportunités dont on dispose. En effet, selon les chiffres donnés par l’ONT, le Burundi a enregistré 299.331 visiteurs en 2017, soit une hausse de plus de 100% par rapport à l’année 2015 où le pays n’enregistrait que 131.491 visiteurs.

Un autre défi non négligeable est que la plupart des sites touristiques estimés à plus de 156 dont 127 reconnus par l’ONT ne sont pas aménagés. Il précise que leur aménagement est une nécessité, car cela permettra aux touristes de se mettre à l’aise lors de leur mouvement et de se retrouver dans un espace propre et attractif. Nonobstant, le manque de moyens financiers pose problème. En 2014, la chambre sectorielle de l’Hôtellerie et du Tourisme du Burundi (HTB) et le gouvernement avaient signé un contrat de partenariat avec TradeMark East Africa (TMA) pour le financement de l’aménagement de certains sites touristiques, à savoir: le monument Pierre Livingston et Stanley, le parc de la Kibira et le sanctuaire des tambourinaires de Gishora. Néanmoins, on a ne l’a pas mis en application suite au gère de financement par l’Union Européenne partenaire du TMA en 2015.

Le tourisme pourtant porteur de croissance économique

A travers les publications de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), Faustin Ndikumana président du PARCEM indique que le tourisme est un secteur qui est entrain d’engranger beaucoup de devises (propos datant de 2018). Il procure plus de 300 millions d’emplois dans le monde avec plus de 7 milliards USD de bénéfice pour un pays qui veut accumuler des réserves de change, des devises et la création d’emploi pour la jeunesse. Il donne l’exemple du Botswana qui vient de tripler ses recettes touristiques, passant de 300 millions USD à 1 milliard USD.

« Dans le CSLP II, on avait considéré le tourisme comme un secteur porteur de croissance économique. Mais, aujourd’hui, le bilan est déplorable par rapport à celui des autres pays de l’EAC. Si on analyse la part du marché qui revient à chaque pays, il dépasse 20% alors qu’au Burundi, nous sommes à 2% », regrette-t-il. M. Ndikumana informe que la croissance annuelle du nombre de touristes est inférieure à 10% alors que les autres pays de l’EAC sont à plus de 80%. Le Burundi n’arrive pas à engranger 5 millions USD par an. Les autres pays sont à plus de 300 millions USD par an. Le Rwanda collecte 350 millions USD par an et Ouganda 800 millions USD par an. Il explique que les 350 millions engrangés par le Rwanda sont l’équivalent du montant d’aide publique au développement que le Burundi bénéficiait au moment du CSLP I et du CSLP II.

Notons que cette situation prévaut au moment où le Burundi regorge d’opportunités incommensurables à exploiter. Il en dispose à tire larigot. Et de citer le paysage qui est très beau a contempler, le lac Tanganyika, l’hospitalité légendaire, le cuisine burundaise, etc. Le lac Tanganyika est encore vierge. Les investissements dans ce réservoir d’eau douce ne sont pas proportionnels aux opportunités qu’il peut offrir. Le transport des passagers n’y existe plus. Les services touristiques qui s’y opèrent sont encore au stade embryonnaire. On a proposé la mise en place des bateaux de croisière (hôtels flottant sur le lac) qui peuvent booster le tourisme dans les quatre pays qui partagent le lac Tanganyika dont le Burundi, la Tanzanie, la Zambie et la RDC. Actuellement, les touristes sont sommés de prendre un avion ou un véhicule pour se déplacer. Les tourismes de conférence, de sport, etc n’y existent pas. Le tourisme, une fois mis en valeur, pourrait générer 3000 emplois sur le lac dont le littoral à un linéaire estimé à 169 km (de Gatumba à Nyanza lac).

A propos de l'auteur

Jean Marie Vianney Niyongabo.

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Un commentaire
  • ir Irakoze fiacre dit :

    Le secteur hôtellerie et Tourisme est un enfant oublié dans la famille nous avons étudie le Section hôtellerie et Tourisme pensans que ce secteur manquent des proffessionnel mais nous avons fini à être chommeur on engage des personne qui ont pas de competence dans le secteur alors si’il y a des chommeurs qui ont étudié hôtellerie et Tourisme !!!

Les commentaires sont fermés.

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