La baisse des réserves de change entrave le développement économique du pays. Elle entraine d’importantes distorsions du taux de change, décourage les investissements et alimente des incertitudes sur le marché de change. Pour pallier à ce défi, les économistes proposent l’amélioration de l’offre à travers les exportations, le tourisme, l’industrialisation, etc. En outre, la demande en devises doit être gérée de façon efficiente
Depuis plus de 5 ans, le Burundi fait face à une crise aigüe du marché de change caractérisée par un très faible niveau des réserves dans le secteur bancaire. Ce qui se répercute directement sur les prix des produits importés. Sur le marché de change, il existe un différentiel important entre le taux de change officiel et le taux de change du marché parallèle.
Lors du récent forum sur le développement du Burundi, les participants se sont penché sur cette question en analysant notamment les facteurs des déséquilibres sur le marché de change tant au niveau de l’offre qu’au niveau de la demande. Il a été également question d’évaluer l’efficacité des mécanismes mis en place par l’autorité monétaire pour le gérer marché de change pour enfin dégager des pistes de solutions pour rétablir un taux de change d’équilibre stable et compétitif.
Aperçu global du régime de change
Dans sa présentation sur la gestion du marché de change, Léonce Ndikumana, professeur émérite à l’université de Massachussetts donne un aperçu global du régime de change qui prévaut dans notre pays. Ainsi, explique-t-il, le Burundi s’est doté d’un système de change hérité de la colonisation belge. Mais ce régime a changé en fonction des années. En 1970, la Banque centrale a décidé d’instaurer un régime de parité entre le dollar et le FBu. Ensuite en 2000, il y a eu un changement très important avec la mise en place d’un système de vente aux enchères des devises. La Banque centrale et les banques commerciales participaient à ce marché. Cela déterminait un taux de change compétitif. Ce système a produit de bons résultats, reconnait professeur Ndikumana.
« Avec la vente aux enchères, les bureaux de change pouvaient acheter les devises au même titre que les banques commerciales puisqu’il y avait beaucoup de réserves. Les réserves de change commencent à chuter vers 2013, car les importations ont augmenté alors que les exportations domestiques restaient les mêmes. La couverture des importations n’a jamais dépassé une moyenne de 20% », fait savoir Audace Niyonzima, 1er vice-gouverneur de la Banque centrale. Par conséquent, l’écart entre le marché officiel et le marché parallèle devient important. C’est ainsi que la Banque centrale a introduit la bande de 1% pour essayer de maîtriser la variabilité du taux de change. Sinon, le taux de change allait varier dans tous les sens et la question de prévisibilité allait compromettre le fonctionnement de toute l’économie. Entretemps, les bureaux de change ont été exclus parce que l’offre devenait de plus en plus insuffisante.
Pourquoi se soucier du marché de change ?
Les économistes s’accordent sur le fait que le taux de change compétitif constitue un des instruments importants de la politique industrielle. Professeur Ndikumana affirme que ce taux favorise l’éclosion d’une économie diversifiée et pérennise la croissance économique. En définitive, un taux de change compétitif favorise l’allocation efficace des ressources dans les secteurs économiques. Il encourage la production nationale par rapport aux importations puisqu’il rend les produits domestiques compétitifs par rapport aux produits étrangers.
En revanche, nuance professeur Ndikumana, un régime de change avec un taux de change surévalué a beaucoup d’effets négatifs sur l’économie. Il sape l’orientation vers l’exportation parce que les produits burundais deviennent trop chers. Pire encore, il réduit l’efficacité de l’utilisation des réserves qui est un instrument de gestion des chocs sur l’économie. Le taux de change surévalué conduit inéluctablement au rationnement et à l’allocation administrative du forex. Ce qui créé malheureusement des opportunités de spéculations et de corruption. Les gens sont tentés de pouvoir bénéficier de la marge qui existe entre le taux de changer officiel et le taux de change parallèle. Donc celui qui met la main sur un dollar ou un euro va essayer d’en profiter en vendant sur le marché parallèle.
Comment en est-on arrivé là ?
D’après le professeur Ndikumana, les déséquilibres actuels qui persistent sur le marché de change, sont des résultats des problèmes structurels qui se manifestent du côté de l’offre, de la demande et de la gouvernance. Il s’agit donc d’un problème systémique. Et, pour résoudre un problème systémique, il faut une solution systémique, propose professeur Ndikumana. Il ne faut se focaliser à chercher un prix magique du FBu. Pour fixer le taux de change il faut éviter les solutions d’ingénieurs (appelées ainsi parce que la personne qui a pu gérer la crise des devises en Taiwan au cours des années 1950 était un ingénieur). Bref, le taux de change s’ajustera en réponse à l’amélioration de l’offre, de la demande et de la gouvernance du marché de change.
Dans l’immédiat, il fait saisir les opportunités d’apport des devises notamment l’aide publique sous forme de dons, de crédits concessionnels. Il faut également combattre la fuite des devises via la surfacturation des importations et la sous facturation des exportations. Et pour y arriver professeur Ndikumana propose la digitalisation des services bancaires quitte à faciliter les paiements internationaux. Les importateurs n’ont pas besoin de dollars en espèces, le virement bancaire peut faire l’affaire. L’utilisation des certificats de forex négociés, c’est-à-dire que l’exportateur peut changer des devises et garder une partie pour ses importations ultérieures. Cela pourrait réduire les tentatives d’alimenter le marché parallèle et, partant, faciliter la transition vers un marché libre concurrentiel. Les devises devraient être gérées par les institutions contrôlées par la BRB.
L’inaction n’est pas une option !
Le Pr Ndikumana appelle les pouvoirs publics à l’action. «L’inaction n’est pas une option. Chaque jour qui passe rend le problème plus difficile à résoudre. Et chaque jour qui passe décourage les gens qui attendent des solutions à ce problème». Ainsi, suggère-t-il, des reformes doivent être entreprises. Certes, l’ajustement ça sera coûteux, mais ces coûts peuvent être atténués par des politiques d’accompagnement sur le plan macro-économique et sectoriel (la subvention des produits ciblés comme le carburant, les médicaments, les intrants agricoles…).
Il faudra également entreprendre des projets qui permettent d’amortir les chocs sur les ménages, notamment les projets de protection des filets sociaux. Le coût de la vie augmente alors que les salaires n’augmentent pas. Alors cela constitue un problème dont il faut aussi tenir en compte. Donc les politiques macroéconomiques sont plus importantes et surtout tenir compte des effets inflationnistes sur les biens et services importés.
Rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande
Le non alignement des taux de change décourage les investissements, créé des incertitudes et encourage la spéculation. La spéculation ne fait qu’empirer le gap entre le taux de change officiel et le taux de change parallèle, indique Pr Ndikumana.
Pour booster l’offre, la promotion des exportations est indispensable mais les effets des exportations ne sont pas palpables qu’après quatre ans. « Il faut du temps pour monter une usine, et qu’elle puisse gagner des marchés à l’étranger. Entretemps, cet investisseur aura besoin des devises pour s’approvisionner en matières premières et en équipements de production. Donc il doit être servi aujourd’hui pour qu’il puisse mettre en place son usine », estime Tharcisse Rutumo, Administrateur Directeur Général de la Banque de Crédit de Bujumbura (BCB).
Pour lui, le fait de ne pas avoir le courage d’agir aujourd’hui ne fait qu’encourager la contrebande. Ce banquier plaide pour le rétablissement des relations bilatérales et la gestion efficace des ressources en devises d’où qu’elles viennent.
Garder les devises hors valises
Depuis 2016, la Banque de la République du Burundi (BRB) a pris l’option de rapatrier les comptes des ambassades et des Ongs étrangères à la banque centrale. Avec le gel des appuis budgétaires il n’y avait plus rien à la BRB. Alors la banque ne pouvait pas jouer son rôle, justifie le 1er vice-gouverneur de la BRB. Donc, la BRB a pris l’option de domicilier tous les comptes en devises des organisations internationales et des ambassades y compris les pour récupérer les devises. Ce qui a permis à la Banque centrale de mener sa politique de financement des importations des produits stratégiques. La politique reste en vigueur. La bonne nouvelle est qu’avec la reprise de la coopération le niveau des réserves des devises est en nette augmentation et atteint 3 mois d’importations.
Rutumo fustige l’attitude de la banque centrale qui s’ingère dans la gestion des comptes des ambassades et des Ongs étrangères. Il explique la banque centrale à d’autres vocations que celle de gérer les comptes en devises des bailleurs ou d’autres institutions qui amènent des devises au pays. Pour lui, un compte en devises devrait être ouvert et géré au niveau des banques commerciales. Il encourage la BRB à revenir à la situation d’avant 2015. Par rapport à la gestion du marché de change, il a rappelé que la gestion des devises devrait être assurée par les hommes et les femmes du métier, en l’occurrence la banque centrale et les banques commerciales. Un avis largement partagé avec le Pr Ndikumana : « Au niveau de la gestion de la demande, il faut garder les devises dans le système financier pas dans les valises »
Vers la diversification des sources de devises ?
En ce qui concerne la mobilisation des transferts de fonds pour la mise en œuvre des projets de développement, la BRB est en concertation avec le ministère des Finances pour un suivi rigoureux de la gestion des décaissements.
Denis Nshimirimana, secrétaire général de la Chambre Fédérale du Commerce et d’Industrie du Burundi (FICIB) parlent d’autres sources potentielles de devises. Le pays peut miser sur le commerce transfrontalier. Pour le cas de la RDC, les services des migrations enregistraient entre six mille et huit mille personnes qui franchissaient la frontière. La majorité (environ 5000 personnes) était d’origine congolaise. C’étaient de petits commerçants qui venaient s’approvisionner sur le marché local. Si chaque commerçant apportait 200 USD, alors le pays enregistrerait autour d’un millions USD par jour, soit près de 30 millions USD par mois. Mais au lieu de profiter de cette opportunité, le pays se contente de collecter les devises issues du test Covid-19. Il plaide pour la facilitation des flux de marchandises pour maximiser les recettes en devises.
Promouvoir le tourisme
La suppression du visa à l’arrivée a porté un coup dur à l’économie. Le Burundi est presque fermé. Il faudra donc étudier les modalités de rétablissement du visa à l’arrivée pour promouvoir le tourisme. Il rappelle que dans les autres pays de la sous-région, le tourisme est parmi les secteurs pourvoyeurs de devises. En 2019, la Tanzanie vient en tête des pays de la sous-région qui enregistrent d’importantes recettes touristiques avec 2,5 milliards USD, le Kenya est en deuxième position avec 1,6 milliards USD et l’Ouganda occupe la troisième position avec 1,1 milliards USD.
A en croire le secrétaire général de la CFCIB, le Burundi dispose d’un grand potentiel touristique. Rien que le littoral du lac Tanganyika, on peut en faire une côte d’azur burundaise qui pourrait faire vivre toute la population. Pour gagner ce pari, propose-t-il, l’opérationnalisation de la compagnie aérienne nationale « Burundi Airlines » est indispensable. Parmi les facteurs qui découragent les voyageurs et les touristes à venir au Burundi figurent les tickets d’avion qui coûtent excessivement chers. En se dotant de sa propre compagnie aérienne, le pays peut jouer sur les prix des tickets. Sinon, on n’aura pas beaucoup de voyageurs, car les tickets sur le Burundi restent chers.
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