Au Burundi, les menstruations sont toujours un tabou, un sujet à aborder en cachette malgré que ce soit un phénomène naturel. La superstition autour des menstrues conduit à des discriminations dans l’accès à une bonne hygiène menstruelle pouvant être fatales aux jeunes filles
Entre 75-80 % des burundaises ne peuvent pas se permettre d’acheter chaque mois les serviettes à usage unique disponibles sur le marché. Ajouter à cela que plus de 89% des filles et des femmes burundaises ne peuvent pas se permettre d’acheter des sous-vêtements. Or pour utiliser les serviettes à usage unique, les sous-vêtements sont indispensables, fait savoir Dr Djida Marlène Kaneza, coordinatrice du projet AGATEKA au sein de la SaCoDé.
Dr Kaneza souligne que cela a fait l’objet d’une étude de l’UNICEF en 2016 qui a révélé que : les filles et les garçons de 12 ans et moins n’ont aucune connaissance des menstruations et ceux de 13 ans et plus ont peu d’informations là-dessus, 81% des filles ont avoué avoir eu peur lors de leurs premières règles, 67,4% pensent que c’est au moment des règles qu’une fille peut tomber enceinte, que c’est la preuve irréfutable qu’elle a eu des rapports sexuels, 70,2% des filles et 88,3% des directeurs confirment les absences récurrentes pendant les menstruations, 31,6% utilisent de vieux morceaux de pagne, 45,3% utilisent des morceaux de pagne alternés avec des protections à usage unique dans la limite du possible et 5,9% superposent des shorts.
Les jeunes filles vivent un non compris
Le tabou autour des règles constitue un problème à plusieurs niveaux. Tout d’abord, cette situation fait que les jeunes filles manquent d’informations les plus basiques sur leurs corps et l’apparition des règles constitue un choc pour nombreuses d’entre-elles. Certaines jeunes filles rencontrées racontent l’histoire de leur premier jour des règles. « J’avais toujours remarqué dans les affaires de ma tante un paquet sur lequel était écrit « Always » et, souvent elle le mettait dans son sac à main quand elle allait au travail. J’étais très curieuse, je voulais savoir de quoi il s’agissait et à quoi ça servait. Et puis, un jour, je me suis décidée à lui poser la question et c’est à ce moment-là qu’elle m’a déroulée toute l’histoire des menstruations. A cette époque, j’avais 10 ans », témoigne Brielle, 15 ans.

La serviette AGATEKA initiée par SaCoDé
Montana, elle, n’a pas eu la même chance. « J’étais en classe et, tout d’un coup, j’ai senti quelque chose de mou dans mes sous-vêtements. En y touchant, je me suis rendu compte que je saignais de l’intérieur. Panique totale, qu’est-ce qui m’arrivait, d’où venait ce sang, me suis-je blessée sans le savoir, allais-je mourir,… ? Des tas de questions traversaient mon esprit car personne ne m’en avait jamais parlé. Etant orpheline de mère, je ne me voyais pas demander à mon père de m’expliquer ce qui venait de m’arriver. Je me suis donc contentée des conseils de ma camarade de classe un peu plus grande que moi ».
Ne pouvant pas s’offrir des serviettes à 2000 FBu chaque mois, cette jeune adolescente de 14 ans a opté pour l’utilisation des moyens de bord : de vieux morceaux de pagnes ou de tissus, des bouts de matelas. « Je me débrouille comme je peux et ça fait l’affaire. Ne pouvant pas évoquer de tels sujets avec mon père, à qui d’autres pourrais-je m’adresser », lâche-t-elle. Pourtant, cette pratique n’est pas sans conséquences comme, elle le certifie. « Parfois, j’ai des démangeaisons au niveau de mes parties génitales ou une mauvaise odeur s’en dégage, sans oublier les allergies et les infections… »
Pour Audrey, vivant à l’intérieur du pays, la réalité est tout autre. Etant dans une fratrie de 9 enfants dont 5 filles et 4 garçons, les moyens financiers posent problème. « Le jour de mes premières règles, ma mère m’a dit quoi faire ». Etant dans l’incapacité d’acheter les serviettes hygiéniques pour ses 5 filles et cela chaque mois durant presque 5 jours, elle leur propose une autre alternative. « Elle m’a donnée un vieux pagne qu’elle ne porte plus et l’a déchiré devant moi en de petits morceaux. Et elle m’a montré comment les porter en me disant que même elle et mes grandes sœurs font de même ».
Le non accès à des serviettes hygiéniques touche à la dignité de la jeune fille
Face à cette situation, la jeune fille qui n’a pas reçu l’information sur comment vivre cette période, quoi utiliser, se trouve face à un phénomène qu’elle ne comprend pas, et cela peut déclencher un choc chez elle. «Imaginez que cette situation sans issue est vécue chaque mois, durant trois à cinq jours par mois et depuis l’âge de 12 ans en moyenne. Quelle vie vivra-t-elle si son droit à la dignité comme toute personne humaine se trouve régulièrement bafouée»? S’interroge Dr Kaneza. Les problèmes liés à ce phénomène sont multiples. Au point de vue de la santé, il y a notamment les infections génitales et/ou urinaires dues à l’usage du matériel non propre, les brûlures/excoriations/irritations dues à l’usage d’un matériel traumatisant la région génitale, les mauvaises odeurs ainsi que les IST et grossesses non désirées liées au fait que les jeunes filles peuvent recourir à des comportements sexuels à risque pour pouvoir se payer ce matériel indispensable à leur vie. « Ces infections à répétition peuvent se propager dans son appareil génital et altérer sa fertilité ». Au point de vue scolaire, l’absentéisme répété des filles peut conduire à des échecs ou abandons scolaires.
Un autre problème est lié au fait que les menstruations doivent être cachées et sont considérées comme sales. Les infrastructures indispensables pour vivre sa période menstruelle en toute quiétude sont inexistantes. «C’est incompréhensible que les filles et les femmes soient obligées de trimballer leurs serviettes usagées dans leurs sacs à main faute de poubelles dans les toilettes, même dans des endroits qui se disent VIP». Les serviettes ne sont disponibles gratuitement ni dans les écoles, ni dans les hôpitaux ni dans aucune autre structure. « Cette politique serait pourtant bénéfique à la moitié de la population burundaise ».
Dans les écoles, les enseignants donnent le peu d’informations dont ils disposent, mais cela reste insuffisant et surtout abordé de manière ‘académique’ et pas de façon à éduquer ou à donner des conseils basiques aux élèves. « Cela devrait être notre préoccupation à tous pour garantir les mêmes chances de réussite à la fille qu’au garçon. La fille à des besoins spécifiques qu’il ne faut pas négliger au risque d’impacter sa vie scolaire, mais aussi en dehors». Ses droits doivent tenir compte de sa spécificité. La bonne gestion des menstruations en toute sécurité et dignité en fait partie intégrante. «Ce domaine doit être pris en compte et ne pas être relégué aux oubliettes. Parler des menstruations de manière ouverte et garantir l’accès aux serviettes sont indispensables si nous voulons une société égalitaire qui offre les mêmes opportunités aux femmes qu’aux hommes ».
SaCoDé en marche pour une meilleure gestion
Selon la coordinatrice du projet AGATEKA, cette serviette est venue pour pallier à l’inaccessibilité financière des serviettes à usage unique. C’est une serviette lavable et réutilisable pouvant servir pendant 5 ans. La serviette AGATEKA est également portable sans sous-vêtement puisqu’elle a des bretelles pour l’attacher dans au dos et au ventre de façon qu’elle puisse rester en place même en faisant le sport. « Les distributions ont jusqu’à maintenant touché 16 provinces et plus de 22.000 écolières en ont déjà bénéficié. Cependant, beaucoup d’autres écolières n’ont pas encore pu avoir cette serviette par manque de fonds suffisants ».
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