Integration régionale

Le libre-échange pour rendre une société prospère

Dans le cadre de sa campagne «Fungua Njia», CDE Great Lakes (Centre de développement des entreprises dans la région des Grands Lacs) a organisé une séance avec les professionnels des médias locaux ce lundi 15 juin 2020 à Bujumbura pour rendre publiques ses analyses sur la situation du libre-échange dans la région

Le monde progresse vers la philosophie d’un monde des affaires unique. Plusieurs accords y relatifs ont été signés dans le temps. La machine de la mondialisation avance très vite. Inutile d’y résister. Tous les pays sont obligés de s’embarquer dans le même bateau pour un destin qui ne doit pas nécessairement être le même parce que les intérêts des pays ou des Etats divergent. La divergence d’intérêts qui varie d’un pays à l’autre, d’une zone économique à l’autre, entrainent les pays à ne pas y aller tout droit. Evidemment, chaque pays doit développer des instruments qui lui permettent de défendre ses intérêts. C’est dans ce but que les barrières au libre-échange persistent dans plusieurs pays. Certains pays sont plus passifs que d’autres.

Irrésistiblement, le Burundi est appelé à entrer dans ce jeu qui draine toute l’économie mondiale. Malheureusement, ce petit pays perdu au cœur de l’Afrique est l’un de ceux qui sont mal côtés en matière de liberté des affaires et le commerce transfrontalier y est confronté à des contraintes diversifiées.   

La régulation plombe le libre-échange

Plusieurs études révèlent une situation d’un commerce transfrontalier plombé par les règlementations. Dans son exposé, Aimable Manirakiza, directeur de CDE Great Lakes s’appuie sur les chiffres rapportés par différentes enquêtes pour montrer les conséquences de la régulation au Burundi.

Aimable Manirakiza, D.G de CDE Great Lakes : « Les Burundais doivent commercer avec le monde, cesser le protectionnisme et s’ouvrir via le commerce transfrontalier pour créer la prospérité ».

Une enquête réalisée par la BRB et l’ISTEEBU a révélé qu’en 2018, au Burundi, le flux des échanges commerciaux a réservé une grande partie au commerce informel. Les échanges transfrontaliers ont dépassé 92 milliards de FBu. Cette enquête explicative a montré que les exportations informelles ont été portées à plus de 27 milliards de FBu contre 8,6% des exportations formelles. Quant aux importations informelles, elles se sont élevées à plus de 65 milliards de FBu contre seulement 4,6% des exportations formelles

Les études internationales concluent à un certain scepticisme

Les études internationales montrent que le Burundi reste le mauvais élève des principes internationaux en ce qui concerne le climat des affaires. Dans le dernier rapport annuel de la Banque Mondiale Doing Business, le Burundi est placé à la 166ème place dans la facilitation des échanges transfrontaliers. Selon Manirakiza, plusieurs barrières non tarifaires et des barrières anticoncurrentielles persistent.  Il tient également à rappeler que plusieurs procédures administratives mènent vers le paiement des pots-de-vin. Ce qui rend difficiles les conditions des traders, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du pays et même au niveau des frontières.

Pourquoi faut-il promouvoir le libre-échange au Burundi ?

Le CDE Great Lakes roule pour le libre-échange. Pour Aimable Manirakiza, la prospérité n’est pas possible sans l’assainissement du climat des affaires et l’ouverture au monde extérieur. « Les Burundais doivent commercer avec le monde, cesser le protectionnisme et s’ouvrir via le commerce transfrontalier pour créer la prospérité », rappelle-t-il. Pour une société burundaise prospère, le directeur de CDE Great Lakes appelle à la réduction des obstacles au commerce. Il rappelle également que la compétitivité accrue des entreprises et l’éducation au libre-échange restent des préalables pour créer les richesses.

La frontière, un couteau à double tranchant pour l’économie nationale

Selon Léonidas Ndayizeye, expert en économie politique et consultant de CDE Great Lakes, « la frontière est un moyen de politique générale pouvant être utilisé de plusieurs manières ». Sur le plan économique, c’est au niveau des frontières que se situe le jeu d’intérêts entre les pays chacun pouvant tirer la carte qui lui semble la meilleure pour l’avenir de son économie. «La frontière peut être utilisée pour inciter, stimuler ou interdire l’accès à son territoire», indique-t-il

Dans son analyse des contraintes du commerce transfrontalier au Burundi et dans la région des Grands Lacs, cet économiste extrapole et, au-delà des intérêts purement économiques, montre que la libération du commerce transfrontalier constitue un autre moyen de promouvoir la paix.

De l’action socio-géographique à l’action socio-économique

Dans son exposé aux allures académiques, le professeur Ndayizeye a affirmé que les populations transfrontalières sont influencées par les politiques transfrontalières entreprises par leurs pays. Cet universitaire soutient que « le rôle de la frontière est défini par rapport aux hommes et par rapport aux choses ». Il rappelle qu’à part sa fonction légale qui revêt une ligne politique démarquée, la frontière a une fonction fiscale. C’est alors là que s’exerce la défense du marché national par le prélèvement des taxes sur les produits étrangers. Ce qui doit se faire dans une moindre mesure en raison des efforts consentis dans la libéralisation des échanges.

Dr Léonidas Ndayizeye, expert en économie et consultant de CDE Great Lakes : « Le commerce transfrontalier participe activement à la lutte contre la pauvreté des ménages ».

Du rôle du commerce transfrontalier en Afrique et dans la région des Grands Lacs

« Le Commerce transfrontalier joue un rôle fondamental dans la réduction de la pauvreté et l’amélioration de la sécurité alimentaire dans toute l’Afrique et dans la région des Grands Lacs » indique Ndayizeye.  Cet économiste, comme certains analystes d’ailleurs, semble défendre l’informel.  Pour lui, même s’il est majoritairement informel dans le sens où ceux qui le pratiquent ne paient pas d’impôts, le caractère informel ne signifie pas que ce genre de commerce est inutile ou illégal.

Le commerce transfrontalier constitue un des aspects importants de l’environnement social et économique. Il est important de le soutenir par des mesures appropriées pour exploiter tout son potentiel en matière de développement

Les femmes y sont particulièrement actives. Elles permettent ainsi de satisfaire certains besoins tels que l’alimentation, la scolarisation des enfants, l’habillement, le logement, etc. Ce commerce améliore les conditions de vie de ceux qui s’y adonnent et crée des emplois, y compris pour certaines catégories de populations marginalisées ou défavorisées.

Les femmes y occupent une place de choix

Le commerce transfrontalier fait intervenir surtout les femmes et a reste très rudimentaire. Dans les régions frontalières du Rwanda, du Burundi et de la République Démocratique du Congo, le petit commerce largement alimentaire constitue une source vitale de revenus et est pratiqué à 80% par les femmes d’après certaines études.

Ce chiffre est très proche de celui publié par Trade Mark East Africa(TMEA). Cette organisation qui encourage le commerce transfrontalier dans la sous-région, signale que les femmes réalisent jusqu’à 74 % des échanges informels le long de la frontière du Rwanda avec ses voisins : le Burundi, la République Démocratique du Congo, la Tanzanie et l’Ouganda et que la majorité de ces femmes ne vivent que de ces échanges.

Un commerce sous-développé

L’essentiel des produits échangés sont de faible valeur et à faible marge. Ce qui constitue un défi pour ces commerçants dans leurs efforts de lutter contre la pauvreté. Ces commerçants contribuent à encourager la solidarité entre les communautés frontalières et favorise de ce fait la paix et la stabilité à travers un phénomène d’intégration de fait. Les politiques des gouvernements en matière fourniture des biens publics essentiels tels que l’infrastructure rurale (énergie, transport, irrigation, eau et assainissement) restent peu favorables à l’essor de ce commerce.

Le commerce transfrontalier fait face à de nombreux défis

Le Centre pour le Développement des Entreprises dans la région des Grands Lacs relève de nombreux défis au commerce transfrontalier. Selon les observations de l’expert, le sous-développement en infrastructures a pour conséquences les coûts de transaction très élevés dans le commerce transfrontalier.

La persistance des conflits dans la région plombe également ce commerce dont les performances sont très basses. « La régionalisation du conflit a progressivement montré que la paix ou un conflit dans l’un des Etats de la région a nécessairement un impact sur ses voisins », fait remarquer Ndayizeye lors de son exposé en marge de la campagne « Fungua Njia » initié par CDE Great Lakes.

Les pays de la région des Grands Lacs devraient créer des plateformes d’experts pour une meilleure éducation au libre-échange.

L’existence des barrières non tarifaires toujours décriées persiste malgré les efforts déployés. « Dans le cadre des accords multilatéraux et de facilitation des échanges de l’Organisation Mondiale du Commerce, les barrières tarifaires sont plus ou moins maîtrisées », admet le chercheur. Ndayizeye affirme que d’autres barrières, dites douces ou barrières non tarifaires existent toujours.

Quelles réformes faut-il envisager pour relever ces défis ?

Dans le cadre de sa campagne Fungua Njia, le CDE Great Lakes propose certaines réformes. Il suggère notamment une réduction notable du nombre d’agences présentes aux frontières et la précision du genre de paiement pour encourager les traders à pratiquer un commerce plus formel. Une professionnalisation accrue des agents jouant un rôle dans le commerce transfrontalier et une plus forte sensibilisation aux problématiques de genre et une coopération coordonnée au niveau des frontières doivent être renforcées pour sauver le libre-échange au niveau de la région. Selon les initiateurs de la campagne « Fungua Njia », il est aussi important de renforcer la formation et le soutien aux commerçants, à travers leurs associations. Certains analystes proposent aux pays de la région des Grands Lacs de créer des plateformes d’experts pour une meilleure éducation au libre-échange.

Pour Manirakiza, toute intervention ayant pour objet la promotion du libre-échange engendrera d’énormes retombées positives pour l’économie nationale et régionale. Il indique que cette campagne couvre le Burundi, le Rwanda et la République Démocratique du Congo et qu’elle vise la facilitation et la légalisation du commerce transfrontalier.       

A propos de l'auteur

Jonathan Ndikumana.

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