Société

Musigati : Le problème de succession se pose toujours avec acuité

Au Burundi, la succession de la femme a fait couler beaucoup d’encre et de salive depuis des années. La tradition burundaise donne à l’homme l’avantage d’hériter les biens de ses parents au détriment de sa sœur. Dans la commune Musigati de la province Bubanza, certains parents ont pris l’initiative de départager leurs enfants avant leur mort et, dans certaines familles, le garçon perçoit la même part que la fille. Mais le chemin reste encore long    

« Comme les garçons ont l’habitude d’écarter les filles en ce qui est du partage des biens hérités des parents, notre père a préféré le faire lui-même avant qu’il ne soit trop tard », indique Floride Bizimana. Elle est originaire de la colline Musigati  dans la zone du même nom, mais elle est mariée sur la colline Rusekabuye de la zone Ntamba. Ses parents sont toujours en vie et ont une fratrie de dix enfants, garçons et filles. La plus-value est qu’il y a eu un partage équitable des biens familiaux entre les filles et les garçons. Chacun a bénéficié de dix palmiers à huile et deux lopins de terre. Simplement, ajoute-t-elle, ce que les garçons ont eu de plus est une parcelle où ériger une maison.

Mme Bizimana salue cette initiative et compte en parler avec son mari. S’il est d’accord, ils feront la même chose pour leur progéniture, car les enfants sont égaux devant les parents, peu importe leur sexe. Cela valorise la femme un peu plus. Quand elle retourne dans sa famille natale et rentre avec des biens bénéfiques à son foyer, c’est une contribution non négligeable au développement du ménage.

Floride Bizimana affirme que dans sa famille a eu lieu un partage équitable des biens familiaux entre les filles et les garçons.

A ce sujet, tous les hommes ne parlent pas d’une même voix

Ezéchiel Bizimana, 25 ans, précise qu’il ne compte pas partager équitablement avec ses quatre sœurs les biens de ses parents. Elles n’ont qu’à se contenter des terres de leurs maris. Il ne faut pas qu’elles reviennent demander quoique ce soit. « Si jamais  mon père le fait sans le consentement de mes deux frères et moi, nous sommes prêts à saisir la justice », renchérit-il.

Daniel Ndabigeze, 64 ans, a dix enfants dont quatre filles. Au départ, il avoue qu’il avait une petite portion de terre héritée de ses parents. Pour étendre son espace vital, il a acheté d’autres terrains au fil des années. En 2016, quand ses enfants sont devenus majeurs (d’ailleurs, certains d’entre eux se sont mariés), il leur a donné la permission de partager sa propriété foncière tout en lui réservant une partie qu’il va continuer à exploiter (Ipfupfú). Il l’a fait ainsi pour éviter les conflits fonciers qui éclatent souvent entre frères et sœurs après la mort des parents. « Après avoir réservé ma part, ils ont subdivisé le reste de ma propriété en sept parties égales. Mes six fils ont pris une part chacun et la part qui reste a été attribuée à mes quatre filles. Nous l’avons fait ainsi, car une fille a droit à l’ « Igiseke » et ne peut en aucun cas bénéficier l’héritage au même titre que son frère », précise-t-il.

En plus de cela, les filles n’ont que le droit d’exploiter leurs portions de terre. Elles ne peuvent pas les vendre sans l’aval de leurs frères. Dixit, Fabien Hitimana, le cadet dans la famille Ndabigeze.

Une particularité de la colline Rusekabuye ?

«Depuis que j’ai commencé à diriger la colline Rusekabuye en 2020, j’ai déjà répertorié 49 familles qui ont décidé de partager leurs propriétés foncières pour leurs progénitures avec l’appui de l’administration à la base», précise Alexandre Misago, chef de la colline Rusekabuye. Ladite colline est peuplée de 14 186 habitants répartis dans 1 449 ménages.

Il ajoute que depuis des années, sur leur colline, les parents ont pris l’habitude de partager leurs biens entre leurs enfants avant qu’ils ne rendent l’âme.  Pour M. Misago, cette initiative est à saluer, car elle est une des stratégies pour limiter les conflits fonciers entre frères et sœurs. Mais le problème est que les terres deviennent de plus en plus exiguës à cause de l’explosion démographique. Ce qui rend les hommes égoïstes quand l’heure du partage des biens familiaux sonne.

Un expert en droit foncier tranche

Il n’y a pas de loi de succession au Burundi. Mais, en son absence, le droit coutumier s’applique. Encore plus, cette dernière est anticonstitutionnelle. Elle n’est pas égalitaire et est discriminatoire envers les femmes. Pourtant, en cas de litiges, les tribunaux ne manquent pas de textes sur lesquels s’appuyer pour trancher, car la Constitution garantit l’égalité des hommes et des femmes devant la loi sans oublier la non-discrimination. Et les textes internationaux ratifiés par le Burundi font partie intégrante de la Constitution. Mais certains juristes peinent à appliquer la Constitution. Tels sont les propos du Dr Emery Nukuri, enseignant du Droit foncier à l’Université du Burundi.

En plus de cela, on peut appliquer la jurisprudence même si elle date des années 1950. En termes de succession, elle donne l’avantage plus au garçon qu’à sa sœur sauf qu’une mère célibataire et une fille qui ne s’est pas mariée ainsi qu’une femme qui a connu des difficultés chez sa belle-famille ont droit à la succession. Les autres ont droit à une petite partie de la propriété en usufruit (Igiseke).

Pourtant, en ville, les garçons et les filles partagent équitablement les biens familiaux, contrairement à la campagne où on constate toujours des irrégularités. Même en cas de litige, les tribunaux ne tranchent pas de la même manière, car la jurisprudence n’est pas vulgarisée et n’est pas uniforme sur tout le territoire national.

Pour  y remédier, Dr Nukuri propose la mise en place d’une loi sur la succession et les régimes matrimoniaux. Mais en urgence, il faut des mesures claires sur les propriétés acquises et la jurisprudence devrait être écrite et vulgarisée.

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A propos de l'auteur

Gilbert Nkurunziza.

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