Integration régionale

Adhésion de la RDC à l’EAC : Quels profits pour le Burundi ?

L’EAC continue d’étendre son territoire. Mardi le 5 mars 2022, la République Démocratique du Congo a été officiellement admise comme membre de l’EAC lors d’un sommet virtuel des chefs d’Etats de ladite communauté. Quelle plus-value pour l’économie Burundaise ? Burundi Eco fait le point    

L’EAC vient encore une fois d’élargir ses frontières après sa dissolution en 1977 et sa refondation en 2000. Le territoire de cette communauté dont l’ultime ambition est de devenir une fédération s’étend désormais de l’océan Indien à l’océan Atlantique, respectivement à l’Est et à l’Ouest du continent africain. Riche en minerais, forte de sa population et de sa superficie continentale, ce pays a depuis longtemps suscité la convoitise des pays de la région. L’adhésion du géant francophone à cette communauté économique présente des intérêts spécifiques pour chaque pays membre.

Avec cette adhésion, la superficie de ladite communauté naturellement parasitée par des dissensions internes vient de presque doubler. La RDC constitue un marché fort de plus de 87 millions d’habitants sur un territoire d’à peu près 2,345 millions de km2. Ce qui ouvre la voie à une course effrénée aux intérêts économiques et aux enjeux géopolitiques énormes. La réalité est que les enjeux économiques de chaque pays membre ont pesé lourd sur l’agenda d’un avenir commun. Les pays membres de la communauté semblent ne pas rouler dans un même train. Les intérêts divergent et  tous le savent très bien.  Chaque pays membre compte beaucoup sur les relations bilatérales. Ainsi, ce nouveau marché risque d’imposer le rythme de la danse.

L’adhésion de la RDC à l’EAC présente des intérêts spécifiques pour chaque pays membre.

Un regard sur le commerce transfrontalier entre le Burundi et ses voisins

Enclavé dans les fins fonds du continent, le pays qui se fait fièrement surnommé « le Cœur de l’Afrique » se doit d’entretenir les échanges commerciaux avec ses voisins. Et cela, avec une balance commerciale très déficitaire sur le plan général.

Le bulletin de l’OBR montre que seuls la RDC et la Tanzanie sont les principaux partenaires commerciaux du Burundi dans la région. Durant plusieurs années, la RDC conserve sa première place parmi les pays frontaliers destinataires des exportations du Burundi. En 2019 et en 2020, la valeur des exportations du Burundi dans ce pays était respectivement de 10,65 % et 20,5%.

Le premier pays frontalier fournisseur du Burundi reste exclusivement la Tanzanie. Cependant, les exportations du Burundi vers ce pays n’ont représenté que 2,64 % et environ 4,3% en 2019 et 2020.  Cela, alors que le Burundi s’est approvisionné auprès de son voisin de l’Est à hauteur d’environ 4,6% et 5,16% sur la même période. La Tanzanie reste le premier fournisseur dans la région pour le Burundi tandis que la RDC constitue le principal débouché des produits en provenance de ce petit pays qui risque désormais de servir de pont entre les deux géants  de l’EAC.

Avec les autres pays frontaliers partageant leurs frontières avec le Burundi, les chiffres montrent que le commerce n’est pas intense. Et il faudra rappeler que les conflits politiques et la Covid-19 ont imposé des restrictions coûteuses au commerce transfrontalier.   

Le Burundi sur l’échelon le plus bas dans les échanges avec la RDC

L’adhésion de la RDC à la communauté est africaine  devra bousculer le commerce transfrontalier entre le Burundi et ses voisins. Il s’agit d’un marché convoité par les pays de la région depuis belle lurette.

La suppression des barrières non-tarifaires va aussi accroître la compétitivité. Ce qui exige une industrie solide et compétitive pour faire face à la concurrence des autres pays de la région. Cependant, d’autres pays de l’EAC manifestent depuis longtemps leurs ambitions d’accroître les échanges commerciaux avec ce pays.

Le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie figurent parmi les 10 premiers fournisseurs de la RDC. Le Burundi ne figure même pas sur cette liste des fournisseurs « Top 10 » de la RDC malgré que ce pays reste son premier client dans la région des Grands-lacs.

La Tanzanie et l’Ouganda déjà présents en RDC

Se rendant compte de l’importance que ce marché représente pour son économie, la Tanzanie manifeste la volonté de se rapprocher de son grand client. En 2020, ce géant de l’East African Community projetait de développer son transport maritime pour booster ses échanges commerciaux avec la RDC.

L’Ouganda de Museveni tire la même carte. Chaque année, ce pays exporte en RDC des marchandises et des services évalués à plusieurs millions USD. Rapportant les propos de la ministre ougandaise des investissements, l’agence Ecofin dévoile dans son article publié le 12 novembre 2019 que les échanges commerciaux transfrontaliers entre les deux pays allaient au-delà de 532 millions USD par an.

Pour booster ses échanges commerciaux avec ce pays, l’Ouganda prévoyait de verser des aides équivalant à 66 millions USD à son voisin pour la réhabilitation des infrastructures routières, le but étant de doubler le flux des échanges commerciaux entre les deux pays. C’est dans cette optique qu’ont été signés le 9 novembre 2019 les accords visant à améliorer l’état de plusieurs corridors vitaux qui relient les deux pays.

Une place de choix pour le Kenya

Ce pays qui n’est pas frontalier avec la géante RDC a su se tailler une place dans l’économie de ce pays. En effet, Equity Group,  une entreprise kenyane spécialisée dans le transfert des services revendique une place importante dans le secteur bancaire congolais. « RDC : le kenyan Equity Group se taille la part du lion sur le marché bancaire », titrait la Tribune Afrique en août 2020.

En rachetant 66,63% des actions de la Banque Commerciale Du Congo (BCDC), deuxième banque la plus puissante du pays, le groupe kenyan devenait un acteur incontournable du secteur bancaire de ce pays.  Le Kenya exporte également ses marchandises dans ce pays continent malgré les longues distances à parcourir.

Quid des intérêts stratégiques du Burundi ?

Les échanges entre la RDC et le Burundi ne se font qu’au niveau des frontières. Ainsi, l’Est de la RDC constitue l’espace de vente stratégique, notamment pour les produits manufacturés  importés par les Burundais à l’origine avant d’être revendus à leurs voisins. Les Congolais s’approvisionnent également en vivres sur le marché burundais.

Cependant, les études montrent que le commerce transfrontalier entre les deux pays est pratiqué en grande partie dans l’informel. Plusieurs obstacles entravent ces échanges. L’absence de routes, la surtaxation, la corruption ou d’autres formes manifestes de barrières non tarifaires jouent grandement en défaveur des affaires entre les deux pays voisins.

Avec l’adhésion de la RDC à une communauté ayant l’élimination des barrières non tarifaires à son agenda, les commerçants et industriels burundais pourront accéder plus facilement au marché congolais.

Le commerce informel domine dans les échanges entre le Burundi et la RDC.

Tant d’embûches pour le Burundi

L’élargissement de cette communauté marquée par la course aux intérêts individuels des Etats membres ne fera qu’augmenter le niveau de compétitivité commerciale. Au Burundi, la compétitivité dans les échanges commerciaux est portée par un secteur industriel fragile et moins développé. S’exprimant sur cette question en marge des activités du salon industriel en août  2021, Olivier Suguru, président de l’Association des Industriels Burundais a insisté : « Il faut penser à une production industrielle qui soit de nature à booster les exportations ».

Pour cet homme d’affaires, plusieurs actions sont à mener pour faire décoller un secteur industriel qui patauge. Suguru pointe du doigt une insuffisance de financement pour le secteur privé et la rigidité qui s’observe sur le marché des devises. Tout de même, la mauvaise performance du BBN tire vers le bas l’action des industries du Burundi.

Cependant, le Burundi pourra bénéficier d’un allié solide pour une revendication identitaire au sein de l’EAC. Avec la RDC et le Rwanda, il y aura la création de l’équilibre avec le bloc de l’Est anglophone au niveau des intérêts linguistiques. Cela permettra aux francophones de revendiquer une place de choix sur le marché du travail au sein de la communauté.

Des actions à mener

Conscient des difficultés d’intégration auxquelles fait face le Burundi, le gouvernement veut redoubler les efforts pour relever le défi. Lors du conseil des ministres du mardi le 5 avril 2022, une politique sectorielle sur l’intégration du Burundi au sein de la Communauté Est Africaine a été analysée. Selon le communiqué issu de ce conseil, celui-ci a émis quelques recommandations concernant cette politique. La sensibilisation de la population à travailler en compétitivité avec d’autres peuples de la région et l’accélération de la préparation et de la mise en œuvre effective de cette politique ont été retenues comme principales recommandations faites au ministère de tutelle.

Pour se tailler une place dans la région, le Burundi devra entreprendre de grands chantiers dans plusieurs secteurs. Le développement des secteurs énergétique, entrepreneurial, financier… est obligatoire pour se hisser à l’échelon supérieur.  Ce pays doit donc revoir à la hausse sa production, mettre à l’honneur ses échanges commerciaux avec la RDC et encourager les investisseurs étrangers à investir au Burundi.

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A propos de l'auteur

Jonathan Ndikumana.

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