Environnement

RDC-Burundi: les Forêts et les parcs  victimes de l’exiguïté et de l’infertilité des terres

La taille moyenne d’une exploitation agricole par ménage diminue dans les zones rurales de la RDC et du Burundi suite à la pression démographique. Elle est suivie  de la perte de fertilité  à cause de la surexploitation. En conséquence, la population s’accapare d’espaces forestiers pour créer des champs fertiles et remet en cause les limites des parcs et forêts. Il y a la  prédation de la faune et l’usage des pratiques comme l’agriculture sur brûlis. Ces nouveaux champs agricoles fragilisent des rivières comme  la Rusizi au Burundi. En RDC, les migrations vers les forêts vierges n’arrivent plus à résoudre le problème de champs pour plus d’une raison que décortique ce  grand reportage collaboratif réalisé au Burundi par  Arthur Bizimana et  en RDC par Hervé Mukulu avec le soutien du Rainforest Journalism Fund en partenariat avec Pulitzer Center.

 

Herbes sous le feu et arbres coupés inclinés sur les vieux troncs d’arbres dans la réserve naturelle forestière de Monge. C’est  le paysage qu’offrent les alentours de la colline Kayombe en zone et commune Bugarama de la Province Rumonge au sud-ouest du Burundi. La forêt cède progressivement la place aux champs agricoles de pomme de terre et de choux.

Les agriculteurs cultivent jusqu’au-delà de la rivière Mahuba qui délimite la réserve naturelle forestière de Monge avec les exploitations agricoles des particuliers en détruisant toute végétation au passage.

A la création de la réserve naturelle forestière de Monge en 1989, sa superficie s’élevait à 5000 hectares et abritait 47 ménages autochtones, indique Niyongabo Cyprien, responsable de la réserve naturelle de Monge. Cependant, sa superficie a diminué sensiblement au fil des années. Elle s’élève à 3200 hectares à l’heure actuelle. Plus de 30 ans après sa création, environ 2000 hectares sur 5000 hectares de la réserve naturelle forestière de Monge sont déjà partis en fumée, estime Niyongabo.

Les autochtones se sont accaparés des terres de la réserve naturelle forestière de Monge et les ont vendu aux Burundais de la région du sud (Mugamba) qui ont migré dans cette région à la recherche des terres cultivables  fertiles et du pâturage pour leur bétail. » affirme Cyprien Niyongabo.

Le nombre des autochtones et des nouveaux occupants a augmenté. De ce fait, leurs lopins de terre ont diminué. Ils ont agrandi leurs exploitations agricoles dans la forêt.” explique le responsable de la réserve naturelle de Monge.

« Par le passé, ces étendues nues étaient cultivables. Lorsqu’elles sont devenues infertiles, jusqu’à ce que les herbes n’y poussent pas; les agriculteurs ont défriché d’autres terres cultivables de la forêt. La présence des ménages à l’intérieur de la forêt est une menace pour Monge.”, se lamente Bizoza Léonidas, garde-forestier.

La dégradation qu’a connu le paysage protégé de Mukungu-Rukambasi est en train de se produire à Monge, explique le professeur André Nduwimana, écologue de formation et enseignant à l’université du Burundi dans le département de l’environnement. Situé au sud du pays à environ 80 km de la réserve naturelle forestière de Monge,  les paysages protégés de Mukungu-rukambasi occupent environ 8500 ha.

Il y a quelques années la forêt de Mukungu-Rukambasi était dense, mais c’est un désert à l’heure actuelle. Les agriculteurs l’ont exploitée une seule fois, détruisant toute végétation au passage arguant que la forêt est fertile. Lorsqu’il a plu, car les forêts se trouvent souvent sur les pentes versant, l’érosion a charrié cette couche fertile vers la rivière. À l’heure actuelle, ça devient un problème. La terre, autrefois fertile, s’est muée en terre stérile. Rien n’y pousse.”

Cette expérience  vaut également pour Monge qui se mue “en terres arides et  abandonnées” constate-t-il. Si rien n’est fait dans l’immédiat pour préserver cette forêt aussi tôt possible, la forêt  pourra disparaître, avertit Cyprien Niyongabo.

Selon l’informateur qui a requis l’anonymat, certains des agriculteurs occupant illégalement la réserve naturelle forestière de Monge le font sur leurs propres comptes, d’autres avec la complicité des écogardes.

“Ces agriculteurs donnent le pot de vin dit « Ikibando », qui se traduit par « Gros bâton » en référence aux bâtons que les éco-gardes se munissent lors des patrouilles, aux gardes-forestiers. Les intermédiaires entre les agriculteurs et les garde-forestiers collectent de l’argent qui s’équivaut aux frais de location des lopins de terre des particuliers et en offrent aux garde-forestiers. Dans tel cas, on cultive sans qu’il y ait des  perturbations: Cette pratique date de longtemps quand la forêt était encore dense. Tu vois maintenant, la forêt cède la place aux champs agricoles” explique cet informateur.

En revanche, certains des champs agricoles que les garde-forestiers nous ont montrés à Monge appartiennent aux agriculteurs qui exploitent illégalement  l’espace forestier, mais qui ont refusé de payer le pot de vin aux écogardes. “Ils sont alors persécutés par  les écogardes” précise-t-il.

S’ils avaient eux aussi consenti à donner le pot de vin, ils seraient épargnés des poursuites de tout le temps, fait savoir cet informateur. Les écogardes, néanmoins,  disent que la forêt de Monge est exploitée clandestinement pendant les heures hors services.

Berchmans Hatungimana, directeur de l’Office Burundais pour la Protection de l’environnement reconnaît: “les écogardes sont parfois complices de l’attribution des terres dans les forêts.Dans la mesure où ils sont attrapés, ils sont révoqués de leurs fonctions et ensuite traduits en justice”.  Pacifique Nininahazwe, responsable du parc de la Rusizi indique que lorsqu’il débute son travail en 2020: “ certains agents de l’OBPE ont été coupables d’avoir distribué les terres cultivables dans le parc et ont été punis.

A l’ouest du Burundi, nous sommes en RDC, deuxième  pays le plus grand du continent. A la frontière entre le Rwanda et l’Ouganda, les limites du parc national de Virunga, plus vieux parc d’Afrique, dont la superficie s’élève à 772 700 ha, sont en perpétuel remise en cause par des personnes dégradant la forêt.

L’activité agricole dans le paysage se fait principalement selon des méthodes archaïques, entraînant une production insuffisante pour couvrir les besoins des populations. Pour augmenter la production agricole, les exploitations doivent utiliser plus de terres, ce qui entraîne une pression accrue sur les ressources naturelles, au point de provoquer une perte d’environ 8 % de la forêt naturelle en 2013, indique une étude du Cifor.

Pour  cultiver dans le parc, il y a certaines personnes qui se font passer pour des chefs  coutumiers de la région, s’accaparent des terres du parc et les vendent aux pauvres ignorants, car beaucoup ne connaissent pas les limites du parc et des territoires des chefs terriens voisins du parc.”, indique Nzilamba Mukwahabiri Tridon , chef du service de l’agriculture, pêche et élevage AGRIPEL de la commune rurale de Kyondo, territoire de Beni, province du Nord-Kivu dans l’Est de la RDC. Il faut noter que certaines des limites du parc restent conflictuelles jusqu’aujourd’hui entre la population locale et les écogardes.

Quand un individu commence à cultiver dans le parc en clandestinité, il est suivi par les autres quand ils voient sa récolte, poursuit Nzilamba Mukwahabiri Tridon. Il arrive même à leur vendre des champs. Lorsque les champs deviennent nombreux, ils sont remarqués  facilement par les garde-forestiers.

En guise de punition, les gardes-forestiers détruisent leurs récoltes;”Ils attendent presque la maturation des cultures plantés illégalement dans le parc  comme le riz, le manioc, …et  viennent tout raser à terre, réduisant ainsi à zéro  le travail clandestin de 6 mois à 2 ans et arrêtent également les fautifs .” ajoute-t-il.

Pour être libérés des geôles des gardes-forestiers, ils vont jusqu’à vendre leurs biens laissés ici  au village pour payer les amendes. », un cercle vicieux de pauvreté que déplore l’agronome Nzilamba Mukwahabiri Tridon.

Bienvenue Bwende, chargé de communication du PNVi les rappelle : « Toute activité illégale dans le parc est un crime environnemental. Le Virunga est un espace inviolable, c’est une aire protégée. Quiconque la viole, il faut qu’il sache qu’il y a des conséquences. »

Les parcs menacés, les animaux envahissent les champs et habitations 

Pendant ces dix dernières années, on relève au Burundi une baisse de la production agricole suite à aux déficits ou aux excès pluviométriques mêlés souvent de grêle et tempêtes tropicales violentes, note Dr Déo Guide Rurema, ancien ministre de l’environnement, de l’agriculture et de l’élevage. Les pluies diluviennes, les vents violents et la grêle détruisent non seulement les champs, mais aussi ils accélèrent la dégradation des sols, constate-t-il.

Plus de 80% des burundais sont des agriculteurs et comptent sur les précipitations pour cultiver et produire. Toutefois, depuis 2020, le Burundi perd chaque année 5,2 pourcent de sa superficie en raison de la dégradation des terres, selon le rapport de la Banque Mondiale de 2022 “Tackling Climate Change, Land Degradation and Fragility”.

La région de l’Imbo fait partie des régions qui subissent énormément les impacts du changement climatique. Selon le rapport de l’Institut National des Statistiques du Burundi publié en Mars 2023, les précipitations à la station météorologique de Imbo, située à l’ouest du Burundi sont passées de 94,3 mm en 2011 à 66,3 mm en 2021.

Du côté de la RDC,  une étude menée sur une période de 50 ans  par le Professeur  Sahani Walere,  expert en gestion des catastrophes naturelles,  montre que dans la région de Butembo, il y a une diminution de la quantité des pluies mensuelles.

“Il y a déjà eu des perturbations très sensibles pendant la petite saison pluvieuse. C’est-à-dire, on a perdu en termes d’amplitude et en termes de longueur 25% des pluies en 50 ans ; ce qui est une catastrophe en gestion des risques naturels. Et ça se remarque durant la petite saison pluvieuse, les agriculteurs en milieu urbain sont complètement déboussolés par rapport aux activités à mener », explique le professeur Sahani Walere, enseignant en faculté des sciences agronomiques à l’UCG.

Parallèlement, la taille moyenne d’une exploitation agricole d’un ménage diminue. En 2016, par exemple, la taille moyenne d’une exploitation agricole d’un ménage  ayant 6 enfants s’élève à 0,5 hectare. Le changement climatique, couplé de l’exiguïté et de l’infertilité des terres poussent les agriculteurs, au Burundi et en RDC, à dépasser les limites des parcs à la recherche des terres cultivables encore fertiles au Burundi. En conséquence, les animaux sauvages ravagent leurs cultures :

«  Nous cultivons les champs agricoles aux alentours du parc. Toutefois, les animaux viennent ravager nos cultures. S’ils ravagent les cultures, les fonctionnaires du parc notent et  s’en vont. Personne n’est dédommagé. Par contre, s’ils attrapent les chasseurs dans le parc de la Ruvubu, ils purgent leur peine.  » se lamente l’agriculteur Hasabamagara qui cultive aux alentours du parc national de la Ruvubu, dans la partie Est du Burundi.

Le code forestier du Burundi de 2016 prévoit la zone tampon d’un kilomètre (1 km) entre les limites des parcs et les champs des particuliers. Cependant, beaucoup  d’agriculteurs cultivent jusqu’aux limites du  parc ou à l’intérieur du parc et remettent en cause les dimensions du parc, observe le responsable du Parc national de la Ruvubu, Bakundintwari Marc.

Les limites des aires protégées au Burundi sont discutées, puisqu’elles ont été mises sur une décision unilatérale de l’autorité de l’Etat sans l’implication de la population locale, explique le Professeur écologiste André Nduwimana, enseignant à l’université du Burundi dans le département de l’environnement. Pour cet expert, ce qui manque, c’est cette démarche de s’asseoir ensemble et de prendre des mesures qui sont concertées et acceptées par tout le monde.

L’absence de la  zone tampon restreint la liberté des animaux :”Quand ils sortent dans les parcs, ils se retrouvent dans les ménages et dans les champs des citoyens.” souligne le responsable du Parc national de la Ruvubu.

Le code forestier du Burundi prévoit également de mettre sur pied le fond forestier pour dédommager les agriculteurs quand les champs agricoles sont ravagés par la faune sauvage. Bakundintwari Marc indique néanmoins que ce fond n’est pas encore mis sur pied jusqu’à l’heure actuelle.

Berchmans Hatungimana, directeur de l’OBPE indique qu’il est difficile de mettre sur pied un tel fonds d’indemnisation à l’heure actuelle en raison des ressources financières très limités et recommande plutôt  aux agriculteurs de ne pas cultiver aux alentours des parcs les cultures comme le riz et le sorgho qui attirent les animaux comme les buffles.

Les agriculteurs ont réagi en organisant des rondes nocturnes pour empêcher les animaux de ravager  leurs champs et en allumant des feux la nuit dans leurs champs, ce qui repousse les petits animaux, raconte l’agriculteur Hasabamagara Macaire.

Si les agriculteurs s’absentent, ne fût-ce qu’un seul jour, aux rondes nocturnes, ces animaux peuvent tout ravager. Ils attestent ne dormir à la maison qu’après la récolte. Et les grands mammifères causent encore énormément des dégâts:

« S’il vient des buffles, nous nous enfuyons, car le buffle fait très peur. Pour être honnête, personne n’a récolté cette année. Les buffles ont tout ravagé et nous ont attaqués jusque dans les ménages. Ils ont tué un homme à Rwamvura et blessé d’autres. On dirait qu’ils étaient fous. », témoigne Hasabamagara.

Dans la réserve naturelle forestière de Monge, les agriculteurs tendent des pièges aux animaux sauvages afin qu’ils y tombent s’ils viennent ravager leurs cultures, explique Léonidas Bizoza, écogarde. Or, le piégeage tue et  fait fuir les animaux, constate Léonidas.

Les rivages du Parc national de Virunga, au Nord-Kivu, en RDC sont également concernés par le conflit entre l’homme et la faune . “ Alors qu’au Sud , des villages des pêches qui ont existé avant la création du parc et qui ne cessent de croître comme Kamandi, Kisaka, Muramba, Kyavinyonge, etc. s’étendent dans le parc, au Nord, les villages n’ont plus de champs fertiles et s’approprient des terrains  fertiles dans le parc comme c’est le cas de Mayangose, Nyaleke ou Kanyatsi. Néanmoins, les agriculteurs voient les animaux du parc détruire leurs cultures dans leurs propres champs. Défis des limites, des cessions des terres non clarifiées au  Centre : Kasindi, Isale, Karuruma et Lubirihya.”,  fait savoir le professeur Paul Vikanza.

Les feux de brousse, cet autre défi

Chaque année, le Burundi connaît les feux de brousse. Les trois aires protégées qui ont fait objet de notre enquête ont toutes connu récemment les feux de brousse. Pour défricher les terres forestières et enlever les herbes dans les champs agricoles, les agriculteurs pratiquent l’agriculture sur brûlis. Autour du parc national de la Ruvubu, à l’est du Burundi, les agriculteurs brûlent les herbes qu’ils ont défrichées dans les champs et utilisent leur cendre pour favoriser la croissance des haricots et des maïs, assure Ndikumana Sylvie, agricultrice qui entretient ses champs sur la colline Rwamvura.

Mais, dans certains cas, le feu double d’intensité et se propage de manière incontrôlée, révèle les agriculteurs. Cela détruit l’aire protégée et contribue à la pollution. Dans certains cas,  le feu peut doubler d’intensité et s’étendre sur les collines et les parcs, révèle Surwanone. Dans d’autres cas : « nous pouvons brûler les herbes la journée lorsque le soleil brille encore. Si on rentre sans toutefois avoir bien vérifié que le feu s’est éteint, il peut augmenter et s’étendre sur d’autres lieux. Ainsi, le feu de brousse voit le jour. » poursuit-elle. La forêt subit parfois des feux de défrichement pour les cultures de manioc, témoigne Surwanone.

 

Les feux de brousse effacent les limites du parc de la Ruvubu et permettent aux agriculteurs d’agrandir leurs champs dans le parc” regrette le responsable du parc de la Ruvubu.

Le Burundi perd énormément en cas de feux de brousse: « Les feux de brousse dégagent des fumées qui contribuent à l’intoxication de l’atmosphère. Sans toutefois oublier qu’il décime les herbes, les arbres ainsi qu’une grande biodiversité. » apprend-on par Berchmans Hatungimana, directeur de l’Office Burundais pour la Protection de l’Environnement.

Selon Global Forest Watch, la perte de la couverture forestière au Burundi a évolué en dents de scie ces dix dernières années: Elle est passée, au Burundi, de 5 hectares en 2012 à 28 hectares en 2016 avant d’osciller autour de 5 hectares en 2022 tandis qu’en RDC, la perte de la couverture forestière a connu une hausse en dix ans passant de 212 000 hectares en 2012 à 500 000 hectares en 2016 avant d’osciller autour de 513 000 hectares en 2022.

La perte de la couverture arborée a,  quant à elle, en général, connu une courbe ascendante au Burundi et en RDC. Elle est passée de 871 hectares en 2012 à 1610 hectares en 2022 au Burundi tandis qu’en RDC, elle est passée de 631 000 hectares en 2012 à 1 220 000 hectares en 2022.

De telle destruction d’habitat fait partie des facteurs de la disparition et de la diminution d’animaux sauvages. Selon le chercheur Benoît Nzigidahera, le Burundi a déjà enregistré plus de 10 espèces d’animaux disparues depuis la fin des années 1950.

En 1985, Curry – Lindahl, zoologue et auteur suédois dont les recherches portent principalement sur l’écologie dans les régions tropicales d’Afrique, mentionnait par exemple la présence de 200 éléphants dans la plaine de la Rusizi. A l’heure actuelle, il ne subsiste aucun éléphant. Le dernier éléphant a été exterminé en Décembre 2002 dans le Parc National de la Rusizi.

La disparition des espèces fauniques touche également d’autres biodiversités dans l’écosystème faunique et florique. En l’occurrence la difficile régénération des faux palmiers dans le parc de la Rusizi:“ Les recherches ont montré par exemple que la levée de la dormance des semences de l’espèce endémique « d’Hyphaene » communément appelé faux palmier devrait passer dans l’intestin de l’éléphant. Mais, comme les éléphants ont disparu, la régénération de cette espèce se fait d’une façon vraiment lente à tel point qu’elle est en voie de disparition.” révèle Berchmans Hatungimana, directeur de l’OBPE.

Les Champs agricoles  dans le parc de la Rusizi fragilisent les berges de la Rusizi

Prenant sa source dans le lac Kivu, la rivière Rusizi traverse trois pays de l’Afrique Centrale, dont la RDC,  le Rwanda et le Burundi avant de se jeter dans le lac Tanganyika. Le parc national de la Rusizi au Burundi doit d’ailleurs son nom à la rivière Rusizi. La rivière Rusizi est la frontière entre le Burundi et la RDC. Aux bords de cette rivière du secteur palmerai, les champs agricoles de maïs, de riz, de choux, etc. fourmillent. Ces champs touchent à la rivière. Les agriculteurs ne laissent aucun intervalle exigé par la loi entre leurs champs et la rivière.

 

Au Burundi, pour irriguer les cultures, les agriculteurs creusent des puits sous le sol au bord de la rivière Rusizi et l’eau monte. “Nous commençons alors à puiser de l’eau dans ces puits avec des arrosoirs” explique Ryarambabaje Philippe, agriculteur que nous avons rencontré aux bords de la Rusizi Sarclant sa plantation de Maïs. Ajoutant “ Ces cultures sont récoltées entre les mois d’Octobre et de Novembre quand il y a la famine”.  “Nous cultivons aux bords de la rivière Rusizi, car nous accédons facilement à l’eau pour arroser nos cultures.” complète Agnès Irakoze, agricultrice.

Néanmoins, ces puits rendent les bords de la rivière Rusizi mous et sont à l’origine de leur effondrement dans la partie de Kagwema, en commune Gihanga et province Bubanza.

A force de cultiver aux bords de la rivière Rusizi, les rives sont fragilisées. En temps de pluie, la rivière Rusizi déborde, provoque les inondations et emporte avec elle une surface des rives de la Rusizi. La largeur de la rivière Rusizi augmente. Cet agrandissement de la rivière Rusizi est la conséquence du défrichement de la végétation qui protège les rives de Rusizi, dévoile Ininahazwe, responsable du parc de la Rusizi.

Au fur et à mesure que Rusizi s’agrandit et emporte ses berges, elle grignote l’espace forestier. Pierre Ntahomvukiye, écogarde, craint que Rusizi passe bientôt à proximité de la route nationale numéro cinq dans la partie de Kagwema.

Le lit de la rivière Rusizi se redessine d’une saison à  une autre: « Par exemple, vers Kideheri, Rusizi s’est tracé un autre chemin qui dévie de la rivière principale et se dirige vers la RDC. Même en saison sèche, l’eau continue à couler vers la RDC. »  fait savoir Ryarambabaje Philippe. Il se remémore qu’au début des années 2000 Rusizi ne passait pas par où elle passe aujourd’hui.

Démographie galopante: source de conflits fonciers? 

« Je suis né dans une fratrie de 10 enfants. Nous avons trois petits lopins de terre. Après avoir partagé la propriété foncière laissée par nos parents, personne n’a hérité un lopin de terre où on peut semer trois kilogrammes (3 Kg) de haricot. » nous a confié Kamariza Emelyne lorsque nous l’avons rencontré à Nyarurambi, en commune Gatara et province Kayanza,  au Nord du Burundi.

Gatara fait partie des communes les plus densément peuplées au Burundi. Selon Ndikubwimana Donatien, conseiller Chargé de questions politiques, administratives, juridiques et sociales de la commune Gatara, la densité de la population, en commune Gatara, s’élève à 847 habitants au km² alors que la densité moyenne nationale s’élève à  310 hab./km².

Dans certaines agglomérations  rurales du Nord-Kivu comme Kyondo en RDC : “aujourd’hui, celui qui a un grand champ, réalise difficilement deux parcelles.”, explique l’agronome Nzilamba Mukwahabiri Tridon.  “C’est ces deux parcelles qu’il  subdivise pour planter ici les choux, là les oignons, ou la pomme terre,…Et la production devient insuffisante”, complète  madame Kavira Kavalami Marie José,  directrice du  CMDL Kyondo.

« Aujourd’hui,  vu le nombre d’enfants dans une famille, on peut subdiviser une parcelle de 25 mètres en trois portions pour trois fils. C’est compliqué. Ici nous avons deux activités. L’agriculture et l’élevage. La terre est devenue très rare.  Il y a une surpopulation  dans notre agglomération. », explique  Kasereka Kataliko Charles, Secrétaire administratif de la commune rurale LUUTU.

Au Burundi, le partage des exploitations agricoles familiales est souvent objet de conflits entre les membres de la famille : « Notre exploitation familiale est mal partagée, car je suis pauvre.  Notre père était polygame et a épousé deux femmes. Je suis né à la première femme. Mes frères et sœurs de la première femme sont tous morts. Ceux de la deuxième femme ont survécu. Après avoir partagé notre héritage, la grande partie de la terre est revenue aux enfants nés à la deuxième femme. Vous comprenez qu’il y a eu de l’injustice. » Nous raconte Ngendabanyikwa Venant, agriculteur quand nous l’avons croisé à Muhingira, en zone et commune Gatara. Si les moyens financiers s’améliorent, Ngendabanyikwa compte saisir encore la justice.

En 2017, 80% des litiges reçus dans les tribunaux  burundais sont de nature foncière. Selon, Ndikumana Vianney, chef du cabinet du gouverneur de la province Kayanza, les conflits fonciers poussent la population de kayanza à passer une grande partie de leur temps derrière les barreaux. Parfois, ce lopin de terre qui fait objet de conflit est très exigu et ne peut rapporter grand-chose, constate-t-il.

“Les relations sociales sont tendues entre les membres de familles à tel point qu’ils s’accusent de sorcellerie lorsque l’un d’entre eux tombe malade” argüe Ngendabanyikwa Venant.

A l’heure actuelle, la famine conduit également certaines personnes qui n’ont pas de champs à voler dans les champs agricoles des autres: « Nous ne passons presqu’ aucun jour sans résoudre les différends liés au vol dans les champs. » affirme Sixte Ndayizeye, chef de la colline Nyarurambi. Avant d’ajouter : “Parfois, le dépassement des limites des terres peut s’empirer à tel enseigne que la population se bat à coups de poings et de machettes.

Afin de dégorger les tribunaux de résidences, le gouvernement du Burundi a relancé le conseil des notables collinaires fin 2022. Depuis l’instauration du conseil des notables, il y a environ une année, nous avons reçu 47 conflits, indique Nyabenda Gordien, un des notables de la colline Nyarurambi. Cependant, plus de 30 conflits sont liés au litige foncier, explique Nyabenda Gordien.

Selon le rapport annuaire statistiques du Burundi publié en Mars 2023 par l’Institut National des Statistiques du Burundi, sur 18 892 litiges reçus en 2017, 15 237 sont des litiges fonciers, soit 80, 65 %. Selon INSBU, ces litiges fonciers ont triplé  en quatre ans : ils sont passés de 5 307 litiges fonciers en 2013 à 15 237 litiges fonciers en 2017.

Selon le professeur Aloys Ndayisenga, géographe et enseignant à l’université du Burundi«  les burundais sont très attachés à la terre et à l’enfant. Ce comportement s’observe même parmi ceux qui ont fait de longues études. Et ça date de très longtemps.” Traditionnellement, l’enfant était considéré comme une richesse, un prestige social pour les parents et une protection contre les vieux jours. Avoir beaucoup d’enfants signifiait avoir une main d’œuvre gratuite pour l’agriculture, explique le chercheur.  Cette mentalité n’a pas changé, constate cet expert. La transmission des terres de père en fils  a été à l’origine de morcellement des terres depuis plusieurs décennies. Actuellement, les familles font face à l’exiguïté des terres, atteste cet expert. L’exiguïté des terres a engendré des conséquences multiples dont la misère généralisée, la famine, le chômage, la diminution de la production agricole, la surexploitation des terres et leur appauvrissement, analyse cet expert.

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Vers la redynamisation de la filière café ?

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