Gouvernance

Les entreprises publiques dans le viseur du Président

Le déséquilibre entre les recettes et les charges, le surendettement, le non-paiement des employés sont entre autres les maux, etc qui hantent les entreprises publiques. Certaines d’entre elles risquent de s’effondrer. La solution du président : limoger tout le personnel de ces entreprises et les confier à des privés

Dans l’émission publique animée mercredi le 30 décembre 2020, le président de la république évoque le cas des entreprises publiques dont la santé financière est fragile. La Mutuelle de la Fonction Publique(MFP), l’Office Nationale des Télécommunications (ONATEL), la régie de production et de distribution de l’eau de l’électricité (Regideso) ont été accusées par le chef de l’Etat de ne pas bien gérer leur patrimoine.  Mais ceux que le président condamne ce sont les membres du personnel de ces entreprises.

Les syndicats dans le collimateur du président

Evoquant surtout les cas de l’ONATEL et de la Regideso le président donne son point de vue : « Nous allons limoger tout le personnel, du DG jusqu’au planton. Ils ont failli à la mission que le peuple leur a donné ». Il met surtout en garde les syndicats des travailleurs de ces entreprises qui viendront engager des poursuites judiciaires. « Si c’est ainsi, nous allons les tenir comme responsable et nous leur demanderons où est notre argent. », annonce le président. Le chef de l’Etat fait endosser la faute à tout le personnel. Selon lui, ces entreprises sont victimes de leur statut d’entreprises publiques et leurs responsables les négligent. «Si on leur avait cédé ces entreprises, elles ne seraient pas tombées en faillite», ajoute-t-il.

En mai 2018, la Regideso avait des créances de plus de 60 milliards BIF.

Quant à la MFP, le président critique sa mauvaise gestion et condamne des querelles qui se remarquent entre cette société et la Centrale d’Achat des Médicaments Essentiels du Burundi (CAMEBU). « Au lieu d’acheter des médicaments pour que ses affiliés soient bien servis, la MFP a préféré construire une salle qui a coûté une fortune à Bururi », critique-t-il. Pour ce qui est de la mésentente entre la MFP et CAMEBU, le président indique qu’une commission va être mise en place pour étudier le cas. L’entreprise qui accusera des manquements verra son conseil d’administration suspendu. Pour ce qui est de l’ONATEL, le président déclare : «Nous allons confier ces entreprises à d’autres entités».

Les tentatives de solutions ne datent pas d’aujourd’hui

En date du 29 mars 2019, le ministre en charge de l’hydraulique, de l’énergie et des mines, Ir Côme Manirakiza a tenu une réunion en assemblée générale avec les employés de la Regideso. Il a dressé un bilan négatif des activités de cette compagnie de production et de distribution de l’eau et de l’électricité.  Il a aussi profité pour réclamer des sanctions sévères contre les personnes impliquées dans le détournement des biens publics. « Nous devons éliminer les employeurs défaillants pour rester avec ceux qui défendent les intérêts de la société », prévenait-il. Le 6 août 2019, le Président de l’époque feu Pierre Nkurunziza a rencontré à Ngozi, les responsables des sociétés publiques et des sociétés à participation publique, pour évaluer l’état de distribution des dividendes dans ces sociétés.

Un rapport élaboré conjointement par l’Office Burundais des Recettes (OBR) et le ministère ayant les finances publiques dans ses attributions relevait des manquements dans plusieurs sociétés publiques et sociétés à participation publique par rapport à la distribution des parts qui reviennent à l’Etat à la fin de chaque exercice fiscal conformément à la loi en la matière. Compte tenu des principes de base de la gestion de chaque entreprise, il s’est avéré que certaines sociétés font une gestion classique, obtiennent des bénéfices, mais ne donnent pas la totalité des dividendes, d’autres ont des performances positives mais ne versent rien à l’Etat comme dividendes, tandis que dans d’autres sociétés, les résultats restent négatifs, donc ne gagnent rien.

Le Chef de l’Etat de cette époque a recommandé à ces sociétés d’en faire un rapport endéans trois mois, où elles vont montrer clairement la genèse de tous ces manquements et leurs auteurs.

La privatisation, une tentative qui a déjà échoué

Le gouvernement du Burundi a initié sans succès un projet de privatisation de l’Onatel en 2009. Le rapport de privatisation est sorti en 2012. L’Etat voudrait céder une partie de ses titres. Ainsi, un consultant international a été recruté en vue d’appuyer le gouvernement dans la conduite du processus de privatisation de l’Onatel sur financement de la Banque Mondiale, lit-on dans l’exposé du motif du projet de privatisation de l’Onatel.

D’après les conclusions de ce rapport, il fallait privatiser l’Onatel par lotissement et le repreneur stratégique est majoritaire avec une participation nationale ainsi qu’un partage de responsabilités dans la gestion. Une fois privatisée, l’Onatel devrait agir comme une entreprise du secteur privé en concurrence avec les autres opérateurs. Il devra ainsi bénéficier de toute la souplesse d’action, se dégager des pesanteurs administratives et des procédures administratives. Ses conclusions n’ont pas été mises en application.

L’ONATEL vers la faillite

Le chiffre d’affaires de l’ONATEL est passé en de 10 milliards BIF en 2015 à 5 milliards BIF en 2020. L’Etat burundais, seul actionnaire, n’a perçu aucun dividende, a indiqué Commissaire de Police Général Alain Guillaume Bunyoni, le premier ministre burundais lors d’une réunion avec le personnel de l’ONATEL. La création des richesses par cette société a évolué en dents de scie pour atteindre le point le plus faible en 2019.

Le chiffre d’affaires de l’ONATEL est passé de 10 milliards BIF en 2015 à 5 milliards BIF en 2020.

Le fonds de roulement qui traduit l’évolution de l’équilibre financier de l’entreprise est dans le rouge depuis 2009. En d’autres mots, l’ONATEL n’est pas solvable. Ce qui signifie que sa capacité de recourir au crédit auprès des institutions financières est de plus en plus réduite. L’entreprise fait recours aux découverts pour payer les salaires du personnel, a indiqué le premier ministre.

Les indicateurs de gestion montrent que l’Onatel n’est plus capable d’honorer ses dettes à court terme. Entre 2014 et 2019, s’il avait vendu tout son actif circulant, la vente n’aurait permis que de payer 28 % de ses dettes à court terme. Les 72 % restant devraient provenir de la vente de ses actifs immobilisés. L’Onatel travaille à perte. Les pertes enregistrées en 2015 s’évaluent à 3 milliards BIF contre 10 milliards BIF en 2019.

La Regideso dans l’impasse

En mai 2018, la Regideso avait des créances de plus de 60 milliards BIF. Malgré les multiples campagnes de recouvrement, la situation ne s’est pas améliorée car, deux mois après, le volume d’impayés a augmenté.

Le Directeur Général de la Regideso, Siméon Habonimana a déclaré que les sommes dues à la Regideso s’élèvent à 63 milliards BIF et que la part des grands consommateurs atteint 20 milliards BIF. Dans une lettre du 30 avril 2020, Côme Manirakiza, ministre de l’Hydraulique, de l’Energie et des Mines évoquait la difficulté de payer les factures de ses créanciers surtout l’INTERPETROL qui avoisinait les 12 milliards BIF à la fin du mois de février2020. Cela est expliqué, lit-on dans cette lettre, par des impayés des institutions publiques envers la Regideso d’un montant de 12 520 975 647 BIF.

Les difficultés organisationnelles et institutionnelles à l’origine des faillites

Un personnel pléthorique, la mauvaise passation des marchés publics, la mauvaise gestion des ressources financières des entreprises, l’ingérence de l’Etat ou le manque d’indépendance des organes de décision sont entre autres les raisons qui expliqueraient la santé financière fragile de ces entreprises. Le 29 mars 2019, Ir Côme Manirakiza, le ministre de l’Energie de l’époque dénonçait l’attitude de certains employés qui restent assis à longueur de journée sans rien faire. Le ratio employé-abonné reste très élevé. « Aujourd’hui, nous avons au moins 110 000 abonnés de la Regideso au moment où le personnel oscille autour de 1200 à 1300 employés. Les standards de la Communauté de l’Afrique de l’Est recommandent que ce ratio soit d’un employé pour 50 abonnés alors que la Regideso dépasse 80 abonnés par employé », a fait savoir Léonidas Sindayigaya, porte-parole du ministère en charge de l’énergie dans une interview qu’il a accordé au Journal Burundi Eco en juin 2018. Certains fonctionnaires de la cellule de gestion des marchés publics commandent des équipements obsolètes qui ne serviront à rien. En 2019, le stock « mort » totalisait plus de 13 milliards de BIF d’après le ministre Manirakiza.

Pour Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de Lutte contre la Corruption et les Malversations Economiques (Olucome), il y a un problème de leadership visionnaire et transformationnel. Rufyiri explique qu’à la tête des sociétés publiques étatiques sont nommées des personnes non compétentes. « Elles reçoivent des responsabilités parce  que ce sont militants politiques ou parce qu’ils sont proches du pouvoir en place. Dans leur gestion quotidienne, elles augmentent des charges fixes en recrutant un personnel non nécessaire et en s’octroyant beaucoup d’avantages. Elles procèdent souvent à la surfacturation de marchés publics pour détourner le surplus et commandent du matériel défectueux en vue de profiter des commissions.

Le président de l’Olucome pointe du doigt le gouvernement. Comment l’Onatel a pu subir autant de pertes alors qu’il y a les organes d’inspection chargés de gérer l’utilisation des fonds publics, s’interroge M. Rufyiri. Des experts économistes qui se sont entretenu avec nos confrères du Journal Iwacu lient cette crise à la négligence, la mauvaise gestion et l’ingérence de l’Etat dans l’entreprise Onatel.

A propos de l'auteur

Dona Fabiola Ruzagiriza.

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