Economie

La gestion des exonérations confrontée à moult embûches

La gestion des exonérations pose encore problèmes. Chaque année, les réalisations dépassent largement les prévisions. Pire encore, au moment où ces incitations fiscales sont justifiées par l’hypothèse selon laquelle elles stimuleraient le développement du secteur privé, les exonérations accordées dans ce cadre sont de loin inférieures à celles accordées dans d’autres secteurs. D’aucuns se demandent qui octroient les exonérations et à qui ?    

L’octroi des exonérations laisse des zones d’ombre. La loi budgétaire est violée au vu et au su de tout le monde. Depuis 2015, le budget général de l’Etat prévoit 18 milliards de FBu d’exonérations chaque année. Les exonérations douanières accordées en 2015 ont atteint 123,21 milliards de FBu. Celles accordées en 2016 s’élevaient à 89,9 milliards de FBu. En 2017, elles s’évaluaient à 111 milliards de FBu. Les exonérations accordées au cours de l’exercice budgétaire 2019-2020 sont évaluées à 191,7 milliards de FBu. Pour l’année fiscale 2020-2021, les exonérations accordées sont de 224 milliards de FBu.

Pour l’année fiscale 2020-2021, les exonérations accordées sont estimées à 224 milliards de FBu sur 18 milliards de FBu qui étaient prévus.

Qui octroient les exonérations au Burundi ?

D’une part, la loi portant le code des investissements prévoit l’octroi des exonérations par l’Agence de Développement du Burundi(ADB), ancien Agence de Promotion des Investissements. L’article 1 de ce code stipule que l’objectif de cette loi est de promouvoir et de faciliter les investissements au Burundi ainsi que les exportations.

L’une des conditions pour bénéficier des exonérations est que le projet d’investissement soit d’au moins 500 000 USD pour les investisseurs étrangers et l’équivalent en FBu pour les investisseurs burundais œuvrant dans la Mairie de Bujumbura et de la moitié de cet investissement pour les investisseurs œuvrant dans d’autres localités. L’article 16 de cette loi précise que pour tout projet certifié, la durée de validité des avantages ne peut pas dépasser cinq ans sauf pour les secteurs spécifiques pour lesquels la durée peut aller jusqu’à dix ans.

Ce n’est pas seulement ça. Lors du récent forum sur le développement du Burundi tenu en novembre 2021, Libérat Mfumukeko, économiste et ex-secrétaire général de l’East African Community (EAC) a révélé qu’il existe une commission de Remise des Droits n’incluant ni l’API, ni la Présidence. C’est un mécanisme qui est parallèle et qui implique les techniciens du ministère des Finances, du ministère du Commerce, de l’Office Burundais des Recettes (OBR), la Chambre Fédérale de Commerce et d’Industrie du Burundi (CFCIB) et l’Association des Commerçants du Burundi (ACOBU), fait-il savoir.

Selon Mfumukeko, cette commission reçoit directement les dossiers et décide à qui accorder les exonérations. Le rapport de cette commission est transmis à l’EAC pour être publié dans la Gazette de l’EAC. Il s’inquiète que cette commission octroie des exonérations plus larges que celles données par l’API.  Les montants pourraient être supérieurs, car le rapport de l’OBR ne montre pas certaines exonérations mentionnées dans la Gazette de l’EAC.

Ces exonérations sont données en rapport avec le tarif de l’EAC qui établit trois types d’exonérations.  Les matières premières qui paient les Droits de Douanes à l’Importation pour 0%, les produits semi-finis pour 10%et les produits finis pour 25%. Néanmoins, Libérat Mfumukeko déplore que les exonérations accordées à travers la commission de remise des droits concernent les produits finis ou semi-finis qui sont destinés à la revente, mais qui entrent au pays comme des matières premières. «Cela fausse complètement le jeu de la concurrence». Il a recommandé de faire un audit sur les exonérations afin de distinguer les vrais investisseurs des faux investisseurs. Cette étude va distinguer ceux qui obtiennent les exonérations parce qu’ils occupent les fonctions politiques de ceux qui bénéficient des exonérations pour investir dans une activité commerciale. Il propose également de mettre en place une commission mixte OBR-API, donc des gens concernés très peu par la question des exonérations afin de coordonner les activités d’octroi des exonérations.

Libérat Mfumukeko déplore qu’une grande partie des exonérations est accordée sur des produits finis ou semi-finis destinés à la revente.

Quid des exonérations accordées aux investisseurs ?

La part des exonérations accordées aux investisseurs est faible. Les droits de douane et la taxe à l’importation cumulées atteignent plus de 224 milliards de FBu pour l’exercice 2020-2021. Par contre, la part des investisseurs, c’est-à-dire les exonérations octroyées aux opérateurs économiques dans le cadre du code des investissements s’élèvent à 52,8 milliards de FBu. Pour l’année 2019-2020, sur 191,7 milliards de FBu d’exonérations, celles accordées aux investisseurs s’évaluent à 37,2 milliards FBu. En 2018-2019, pour les exonérations totales qui s’évaluent à 156, 3 milliards FBu, la part des investisseurs représente 31 milliards FBu.

Selon le rapport d’exécution du budget de l’Etat, exercice budgétaire 2019-2020, 42,74% des exonérations ont été accordées dans le cadre de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires et dans le cadre des accords bilatéraux ou multilatéraux avec les Partenaires Techniques et Financiers. Les exonérations accordées dans le cadre des incitations fiscales aux investisseurs par le code des investissements représentent 19,45% des exonérations totales. Les exonérations accordées à certaines personnalités par rapport aux fonctions qu’elles occupent et aux décisions du Gouvernement représentent 0,12%. Celles accordées dans le cadre des politiques sociales dont le secteur de la santé (équipements médicaux, produits pharmaceutiques et les médicaments) et le secteur agricole (intrants et produits vétérinaires) s’évaluent à 5,11%.

La Cour des Comptes demande la correction de ces irrégularités

Dans ses commentaires sur le projet de loi portant fixation du budget général de l’Etat, exercice 2019-2020, la Cour des Comptes avait constaté que les dépassements des plafonds fixés dans les prévisions des exonérations n’ont pas été corrigés. Leur taux d’exécution s’élevait à 645,1% (exécution du 01/07/2018 au 31/03/2019). La Cour avait recommandé au ministère en charge des finances de corriger les prévisions des exonérations.

Malgré ces recommandations, les mêmes erreurs s’observent encore. Les exonérations accordées jusqu’à la fin du troisième trimestre 2020-2021 sont évaluées à 163,1 milliards de FBu sur les 18 milliards de FBu prévus. Les exonérations accordées dans le cadre des incitations fiscales aux investisseurs par le code des investissements représentent environ 20,9% des exonérations totales.

Au mois de mars 2021, Professeur Gilbert Niyongabo avait indiqué dans les colonnes de Burundi Eco qu’il faut les plafonner. Sinon, cela devient illégal et inéquitable. Le parlement burundais devrait s’y pencher.

« Du vol organisé », dénonce l’Olucome

Pour Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de Lutte contre la Corruption et les Malversations Economiques (OLUCOME) ce n’est pas normal que le projet de loi régissant le budget général de l’Etat qui est votée chaque année par l’Assemblée Nationale prévoit toujours 18 milliards de FBu d’exonérations et que par après on enregistre plus de 100 milliards de FBu d’exonérations. Il dénonce que cela se fait au vu et au su de tout le monde. La plupart des sociétés ou des personnes qui reçoivent ces exonérations contournent le motif présenté lors de la demande de ces dernières. A titre indicatif, Rufyiri donne l’exemple des gens qui ont sollicité des exonérations pour construire des hôtels et qu’au final, ces dernières servent de bureaux. « Il y a plusieurs cas que nous avons dénoncés », explique le président de l’OLUCOME en indiquant qu’il n’y a pas de suivi sur la finalité de ces exonérations.

Pour Gabriel Rufyiri, la situation ne change pas parce que les personnes qui bénéficient de ces avantages sont puissantes et sont au-dessus de la loi. Le Président de la Cour des comptes ne cesse jamais de décrier ces situations, mais les parlementaires ne donnent aucune injonction aux institutions en charge des exonérations.

Il trouve anormal que la CFCIB et l’ACOBU soient parmi les gens qui octroient des exonérations. Comment se fait-il que les commerçants octroient des exonérations, se demande-t-il. « Dans un document envoyé dans le cadre des recommandations du Forum National sur le Développement du Burundi, nous avons dénoncé cela et nous espérons que les choses vont changer. Nous pensons que cette situation va être corrigée très rapidement ».

Le suivi doit être rigoureux dans le domaine des exonérations. Les services habilités doivent faire des contrôles pour vérifier par exemple si un bâtiment construit pour servir d’hôtel ou d’hôpital ne puisse servir à d’autres fins

Qui sont les bénéficiaires des exonérations ?

L’Office Burundais des Recettes (OBR) classe les bénéficiaires des exonérations en six catégories. Ce sont notamment les investisseurs pour la première catégorie, les financements extérieurs de l’Etat pour la deuxième catégorie. La troisième catégorie concerne les ambassades et les organisations internationales. La quatrième catégorie est constituée par les associations sans but lucratif, les églises et les coopératives. L’avant dernière catégorie rassemble les dignitaires du pays, c’est-à-dire les Députés et les Sénateurs et enfin les hauts gradés de l’armée et de la police ainsi que les membres du gouvernement.

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A propos de l'auteur

Bruce Habarugira.

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Le tableau s’assombrit

Le tableau s’assombrit

Du jamais vu ; un déficit record a été enregistré depuis la création de l’Office Burundais des Recettes (OBR) en 2009, une institution chargée de maximiser les recettes. Un déficit de 110 milliards de FBu sur les 4 derniers mois de l’année budgétaire 2024-2025, déclaré par l’autorité compétente, ne peut pas passer inaperçu. Pire encore, parmi les causes évoquées pour expliquer cette diminution des recettes figurent des facteurs tels que le rôle crucial des agents chargés de maximiser ces recettes, la corruption et la complicité entre les contribuables et les agents, pour ne citer que ceux-là.

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