Agriculture

Le café, un joyau économique en danger ?

Malgré la fierté que le café suscite dans notre pays, ce pilier de l’économie burundaise perd son attrait pour les agriculteurs, en particulier les jeunes. Des prix rémunérateurs trop bas, un encadrement insuffisant et des intermédiaires qui profitent de la situation mettent en péril l’avenir de cette culture emblématique. Ce désengagement pourrait-il mener à la disparition de cette source vitale de devises pour le Burundi ? Dans ce reportage, les caféiculteurs de la province de Kayanza partagent leur triste réalité.

La production de café est majoritairement entre les mains de petits agriculteurs et des coopératives.

La production de café burundais est en déclin rapide aujourd’hui. Etant donné que ce produit figure parmi les principales cultures d’exportation du pays, l’économie nationale en souffre également. En décembre 2023, la Banque centrale a signalé une baisse de 46,1 % de la production du café vert. Cette situation a entraîné une chute de 45 % des recettes d’exportation liées au café vert.

Evolution des exportations

Parmi les principales raisons de cette baisse, on note le désintéressement des caféiculteurs en raison d’un prix rémunérateur trop faible. Actuellement, un kilo de café cerise A s’achète au producteur à 1 380 FBu, soit environ cinquante cents américains. Un kilo de café de qualité moyenne, torréfié au Burundi se vend entre 40.000 FBu et 50.000 FBu. Sachant que 6 à 7 kg de café cerise produisent environ 1 kg de café prêt à la consommation.

Pour de nombreux producteurs, la culture du café n’est plus aussi attrayante que celle d’autres cultures vivrières. Un caféiculteur nommé Miburo, rencontré à Ngozi, explique : « Un kilo de café cerise A se vend aujourd’hui à 1 380 FBu, tandis qu’un kilo de haricots, un aliment de base, se vend à 4 000 FBu. Pour moi, il est donc plus raisonnable de cultiver des haricots qui nécessitent moins d’efforts, mais qui se vendent presque trois fois le prix du café ». Il ajoute que c’est suite à ces calculs que certains de ses voisins ont décidé d’arracher leurs caféiers pour se tourner vers des cultures moins exigeantes et plus rentables à court terme. Selon lui, un prix raisonnable pour 1 kilo de café au producteur devrait être d’au moins 5 000 FBu.

L’impact du faible prix du café sur l’économie nationale

Le faible prix rémunérateur du café a des conséquences néfastes sur l’économie nationale. L’une des principales conséquences de cette situation est l’augmentation des fraudes concernant le café, qu’il soit sec ou sous forme de cerises. Ce café est exporté frauduleusement vers les pays voisins où les prix sont plus élevés. Nzimpora, un caféiculteur rencontré à Kayanza, confirme : « Le prix bas est vraiment le seul problème de la culture du café. On soupçonne même que beaucoup de notre café part frauduleusement au Rwanda à la recherche de meilleurs prix », dit-il.

En effet, au mois de mai dernier, plus de 4 tonnes de café sec ont été saisies par l’administration locale dans la province de Kirundo, frontalière avec le Rwanda, car elles étaient suspectées d’être destinées à la vente au Rwanda. La fraude concerne également le café cerise. A Kayanza, lors d’un procès, un des présumés fraudeurs de café a avoué avoir acheté 100 kg de café cerise à 2 200 FBu le kilo auprès des producteurs pour les revendre au Rwanda à 1 400 Frw le kilo, soit environ 4 200 FBu, plus du triple du prix en vigueur au Burundi. Ce phénomène ne date pas d’hier dans les provinces du Nord. Beaucoup d’autres cas de fraude s’étaient passés auparavant.

Les intermédiaires : une chaîne qui pèse sur les producteurs

Divers acteurs du secteur café au Burundi soulignent que le faible prix rémunérateur pour les caféiculteurs est largement attribué à une multitude d’intermédiaires présents dans la filière. Claver Nzimpora, un caféiculteur expérimenté de Kayanza, décrit cette situation comme une « grosse chaîne » qui pèse lourdement sur les producteurs.

Il propose de simplifier le système en réduisant le nombre d’acteurs à l’Etat, aux agriculteurs et à un revendeur, éliminant ainsi les intermédiaires superflus. Il déclare : « Je suggérerais qu’il n’y ait que l’Etat, l’agriculteur et un revendeur, sans tous ces autres intermédiaires. L’Etat doit percevoir des taxes, nous avons besoin de revendeurs pour acheminer notre café sur le marché et les agriculteurs sont indispensables à la filière. Mon idée est d’avoir uniquement ces trois acteurs sans d’autres qui viendraient encore plus grignoter le prix donné aux agriculteurs ».

Il estime que cette approche rendrait la filière café plus attrayante sans nécessiter des incitations supplémentaires, les bénéfices étant évidents pour tous. Un phénomène inquiétant se développe également : certains intermédiaires achètent le café cerise à bas prix aux producteurs, lui attribuant un poids largement inférieur à son poids réel avant de le revendre aux stations de lavage.

Les victimes de cette arnaque sont les caféiculteurs qui préfèrent être payés immédiatement même à bas prix au lieu de le vendre aux stations de lavage et attendre la fin de la saison pour être payés.

Une préoccupation du gouvernement

Le gouvernement burundais partage ces préoccupations. Lors d’une réunion avec les parties prenantes, le ministre en charge de l’agriculture, Prosper Dodiko, a souligné que la chaîne de production du café, de la pépinière au marché international, fait face à des défis importants. Il a mentionné des problèmes tels que les emprunts à grand bénéfice, les commissionnaires, la fraude et la mauvaise négociation sur le marché international.

Le Président de la République Evariste Ndayishimiye a également exprimé son inquiétude face à la présence de multiples intermédiaires, déclarant : « Il est incompréhensible que le café du Burundi soit vendu à 3,6 USD le kg alors que celui des autres pays de la région se vend entre 7 et 8 USD. »

Pour remédier à cette situation, le gouvernement a déjà exprimé son souhait d’éliminer les intermédiaires afin d’établir un lien direct entre les producteurs et les acheteurs internationaux, réduisant ainsi les pertes financières. En août dernier, un mémorandum d’entente a été signé entre le gouvernement, via l’ODECA, et la société américaine American Roasters Coffee Company, visant à établir des relations commerciales directes et à réduire le rôle des intermédiaires, souvent perçus comme nuisibles à la valorisation du café burundais.

De plus, un autre mémorandum similaire a été signé le 3 septembre 2024 entre le ministre en charge de l’agriculture et son homologue chinois en marge du Forum sino-africain de développement à Beijing.

Des tâtonnements dans la filière

L’histoire du café au Burundi débute avec l’imposition de sa culture par les colons qui obligeaient les agriculteurs à cultiver le café sans compensation. Face à cette contrainte, les Burundais ont d’abord détruit les plants, mais ont progressivement réalisé le potentiel économique du café, surtout avec la garantie d’achat du café par les colons. Entre 1950 et 1960, 13,5 millions de plants ont été repiqués.

Après l’indépendance du pays en 1962, la production du café a perduré bien que l’intervention publique soit restée limitée. Dans les années 1970, le président de l’époque feu Jean Baptiste Bagaza a encouragé la culture du café en imposant aux jeunes de planter des caféiers avant de se marier. Ce qui a changé les mentalités et fait grimper la production à 30 000 tonnes entre 1970 et 1990.

Le modèle de production reposait sur un monopole d’Etat, où les agriculteurs recevaient des aides et une garantie d’achat des intrants à bas prix. Toutefois, avec le temps, les incitations ont diminué, rendant la filière café moins attrayante. Pour revitaliser le secteur, entre les années 1990 et 2000, des réformes ont été lancées, menant à la privatisation complète de cette filière en 2008. Cela a favorisé la concurrence et encouragé le regroupement en coopératives des agriculteurs.

Bien que les prix aient augmenté au début de la privatisation de la filière, certains acheteurs ont tenté de payer au plus bas pour maximiser leurs profits. Ce qui a nécessité une intervention de l’Etat. Cette situation a amené l’Etat à reprendre le contrôle du secteur, conduisant à la création de l’Office de Développement du Café du Burundi (ODECA) en 2019.

Peu de rigueur dans l’encadrement

Depuis 2020, la filière est redevenue un monopole d’État, bien que d’une manière plus souple qu’auparavant, alliant gestion privée et réglementation publique.

La production du café est majoritairement entre les mains des petits agriculteurs et des coopératives. Cependant, l’Etat joue un rôle clé en régulant le secteur via l’Office de Développement du Café du Burundi (ODECA), qui supervise la qualité et la commercialisation du café. L’ODECA est responsable de l’autorisation d’ouverture des stations de lavage, du contrôle de la qualité du café lavé, de la fixation des prix aux producteurs et de la garantie de leur paiement.

Pour les caféiculteurs rencontrés, confier la filière du café à l’Etat n’était pas une mauvaise décision en soi, mais le problème réside au niveau des mesures d’accompagnement. Pour ces caféiculteurs, les agents de l’Etat ne suivent pas les producteurs aussi méticuleusement que le faisaient les acteurs privés. « Lorsque nous gérions nous-mêmes nos plants, tout fonctionnait bien, car nous étions directement impliqués dans leur entretien. Depuis que la filière est passée sous le contrôle de l’Etat, les choses ont changé. Je ne blâme pas l’État en tant que tel, mais plutôt ses employés qui sont censés nous former et améliorer la filière. Par exemple, cette année, ils n’ont pas pulvérisé les traitements nécessaires sur les plants. Avant, lorsque nous faisions la gestion directe du secteur, les soins étaient efficaces et ponctuels », déclare Nzimpora avec indignation.

La vétusté des vergers

L’autre défi qui hante le secteur du café au Burundi est le vieillissement des plants. On estime qu’environ 28 % des caféiers ont plus de 40 ans. Ce qui impacte beaucoup les caféiers. Pour y faire face, en 2021, l’ODECA a initié des activités de mise en place des plantations industrielles propres à l’Etat sur une superficie de 67 ha dans les provinces de Cankuzo, Ruyigi et Mwaro. A part qu’elles ne sont pas assez vaste, ces plantations ont été implantés dans les nouvelles régions et ça prend entre 4 et 5 ans pour qu’un caféier commence à produire.

A cela s’ajoutent la dégradation et la faible fertilité des sols, mais aussi l’absence de pratiques agricoles appropriées. Tous ces facteurs entraînent une production du café qui est en deçà des attentes. De plus, la croissance démographique rapide sur des terres non extensibles constitue un obstacle supplémentaire à la culture du café, exacerbant les difficultés du secteur.

Il importe de noter que les provinces à vocation caféicole comme Kayanza sont également les provinces qui ont des densités de population élevées. Selon les statistiques datant de 2023, la densité de la population dans la province de Kayanza était estimée à 659 habitant par km2.

Cet article a été rendu possible grâce à Journalismfund Europe et a été réalisé par moi, Florence Inyabuntu et Ilaria Beretta, avec le soutien du Dr Parfait Nitunga.

 

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A propos de l'auteur

Florence Inyabuntu.

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