Environnement

Catastrophes naturelles : Le pire est à craindre

L’aménagement du territoire émaillé de certaines embûches, la pression démographique urbaine, les profondes lacunes dans la planification et la gestion urbaine, les impacts du changement climatique sont les principaux facteurs de la vulnérabilité de la ville de Bujumbura. L’Association des Professeurs de l’Université du Burundi (APUB) éveille la conscience des citadins

Jean Marie Sabushimike, Géographe et professeur à l’UB : « La gravité et la fréquence des catastrophes naturelles augmentent du jour au jour dans la ville de Bujumbura»

Au moment où le Burundi fait face aux catastrophes naturelles de toutes les sortes, l’Association des Professeurs de l’Université du Burundi (APUB) a organisé vendredi le 10 mai 2019 un atelier sur la vulnérabilité de la ville de Bujumbura face à l’augmentation des risques de catastrophes naturelles. A cette occasion, Jean Marie Sabushimike, Géographe et professeur à l’UB  a indiqué que la gravité et la fréquence des catastrophes naturelles augmentent du jour au jour dans la ville de Bujumbura. Les excès pluviométriques ne cessent de provoquer des glissements de terrain et créent de profonds ravins dans certains quartiers de la capitale économique du pays. Beaucoup  de maisons et d’infrastructures publiques et privées ont été détruites. Et d’ajouter des centaines de personnes ont été déplacées. Les infrastructures routières, les marchés, les réseaux d’adduction d’eau et d’électricité, les écoles et les églises ont été également affectés. La facture pour le relèvement et la réhabilitation de ces infrastructures est exorbitante comme l’a indiqué la mission d’évaluation rapide de la Banque Mondiale.  De plus, les pertes environnementales qui s’expriment en termes de millions de tonnes de terres rurales perdues dans un intervalle de moins de trois heures de précipitations exceptionnelles ont été enregistrées.  

Le secteur de la santé n’est pas à l’abri 

De surcroît, le secteur de la santé fait partie des secteurs les plus touchés par les retombées négatives de ces catastrophes naturelles, note Sabushimike. L’augmentation de la température et des précipitations favorise en effet la recrudescence des maladies tropicales à transmission vectorielle et non vectorielle. Le paludisme dont l’évolution a été toujours progressif passant de 5. 000 000 de cas en 2015 à 7.000.000 de cas en 2018 avec des épidémies répétitives jusqu’à nos jours en profite pour semer la terreur dans les ménages. Le coût des médicaments et celui des moustiquaires imprégnées d’insecticides affectent sensiblement les revenus des ménages. Le choléra, la dysenterie bacillaire, la rougeole, la méningite sont également des maladies qui ont pris une allure épidémique avec des coûts économiques conséquents. Et d’informer qu’il faut redoubler de vigilance car les projections climatiques du Burundi confirment la tendance à l’augmentation de ces maladies. 

Bernadette Habonimana, expert en agroforesterie : «Les gens construisent pêle-mêle sans étude d’impact environnemental»

Les facteurs contribuant à la vulnérabilité de la ville de Bujumbura

Le premier facteur reste la faiblesse du cadre institutionnel et légal qui se heurte encore à un problème sérieux de coordination des responsabilités relevant des différentes institutions gouvernementales, de la société civile, des communautés de base et autres acteurs pour que la prévention des risques et la gestion des catastrophes au Burundi deviennent réellement opérationnelles. Compte tenu de l’ampleur actuelle des risques et des catastrophes, les Plateformes provinciales devraient rendre opérationnelles leurs stratégies de prévention des risques et de gestion des catastrophes. 

Le deuxième facteur de risque de vulnérabilité réside dans les insuffisances des capacités d’intégration dans la planification multisectorielle. Gérer les risques de catastrophes en termes d’aménagement du territoire suppose des connaissances précises et spatiales des aléas et des enjeux qui y sont ou y seraient exposés. Malheureusement, cela ne peut pas s’appliquer correctement dans un pays où la banque de données en matière de prévention des risques et de gestion des catastrophes est inexistante.

Pour le cas précis du Burundi, c’est justement sur cette base que devrait se fonder les capacités d’analyse et de planification en vue de réduire les crises actuelles associées aux divers aléas. En réalité, il n’y a pas d’articulation entre les risques et la planification dans le moyen et le long terme. La planification est un préalable fondamental dans la mesure où le développement durable et l’environnement écologiquement fiable en dépendent.

Le troisième facteur le plus inquiétant est d’ailleurs la pression démographique urbaine. Suite à la démographie galopante dans la ville de Bujumbura, Erasme Ngiye, expert en aménagement du territoire indique que les constructions anarchiques sur des terres à très fortes pentes et non aménagées sont fréquentes à Gihosha rural, Mugoboka, etc. Il n’y a même pas de caniveaux d’évacuation des eaux de pluie. Celles-ci longent les routes de façon sinusoïdale. Elles détruisent les infrastructures situées en aval. Il y a des difficultés à aménager ces quartiers et les habitants ont du mal à gérer les risques de catastrophes.  Les ménages se débrouillent pour gérer les eaux de pluie et chacun selon ses moyens financiers. Selon toujours Ngiye, la cour intérieure des parcelles est cimentée et les eaux de pluies coulent à grande vitesse. En cours de route, elles rencontrent des pierres et d’autres gravas et fragilisent les berges des rivières.

«Nous sommes des champions dans le non respect des lois»

Selon Bernadette Habonimana, expert en agroforesterie, les gens construisent pêle-mêle sans étude d’impact environnementale. Et de s’inquiéter que les collines qui surplombent la ville de Bujumbura sont dénudées. Selon cet expert et professeur à l’UB dans la Faculté d’Agronomie et de Bio Ingénierie (FABI), planter les arbres fixateurs qui permettent aux eaux de pluie de s’infiltrer est une impérieuse nécessité. L’érosion sera maîtrisée. La quantité de terre perdue chaque année sera réduite.  L’exploitation des matériaux de construction dans les rivières qui traversent la ville de Bujumbura ajoute le drame au drame. Elle provoque la rupture de l’équilibre naturel qui peut aboutir aux mouvements de masse que sont les glissements de terrains et les éboulements. Théophile Ndikumana, professeur de chimie à l’UB ne tourne pas autour du pot. Il précise : «Nous sommes des champions dans le non respect des lois mises en place pour protéger l’environnement». Selon lui, pas mal de textes sensés de protéger l’environnement sont disponibles. Et de se lamenter du fait que ces textes sont parfois ignorés et que des conséquences fâcheuses s’ensuivent. Et l’Abbé Adrien Ntabona de lancer un cri d’alarme : «Nous creusons notre propre tombe sans le savoir en ne changeant pas notre comportement vis- à- vis de l’environnement». 

L’absence de la culture du risque : un facteur important de la vulnérabilité de Bujumbura

Selon ces professeurs de l’UB, l’absence de la culture du risque est une source grave de la vulnérabilité de la ville de Bujumbura qui s’observe aussi bien dans les quartiers populaires que dans les quartiers hauts standing des trois communes urbaines (Muha, Mukaza et Ntahangwa). Beaucoup d’activités humaines réalisées dans les différents domaines clés de la vie nationale n’ont pas du tout encore intégré les risques dans les plans de développements sectoriels. Ce qui est déjà une règle dans les pays développés. C’est dans cet esprit que les plans de prévention des risques devraient être une priorité nationale absolue pour établir véritablement la connaissance des risques et mieux assurer leur surveillance pour réglementer l’utilisation des sols. La société burundaise est essentiellement rurale et vit dans une pauvreté chronique qui a déjà atteint le seuil critique. Cette situation rend encore plus vulnérable la  population burundaise vis-à-vis des risques de catastrophes qui découlent essentiellement des changements climatiques.

Selon ces professeurs de l’UB, l’absence de la culture du risque est un facteur important de la vulnérabilité de la ville de Bujumbura qui s’observe aussi bien dans les quartiers populaires que dans les quartiers haut standing des trois communes urbaines (Muha, Mukaza et Ntahangwa).

Par exemple, les aménagements ruraux précaires et rudimentaires facilitent les destructions des ménages dont les maisons sont construites en matériaux non durables. Le système agraire et la  pression environnementale sur les terres favorisent l’avancée du désert, les inondations, les sécheresses et les glissements de terrains. Les contraintes structurelles liés à la pauvreté chronique urbaine constituent un facteur de vulnérabilité de la ville de Bujumbura au regard de la prolifération du petit commerce ambulant en vue de lutter pour la survie. L’analyse des facteurs  structurels comme le taux de pauvreté rappelle le rôle de l’exode rural dans l’extension de la ville de Bujumbura par des quartiers spontanés aux aménagements très précaires où les populations se confinent dans des taudis à tous risques naturels et anthropiques. Les changements climatiques exposent le Burundi à la nécessité de changements importants d’attitudes et de comportements non seulement pour une meilleure gouvernance environnementale, mais aussi pour réduire sa vulnérabilité face aux risques de catastrophes climatiques. 

La gouvernance des risques de catastrophes climatiques en milieu urbain revêt la plus grande importance pour l’efficacité et l’efficience de la gestion des risques de catastrophes. Elle suppose d’avoir une vision claire des choses, des plans, des compétences et des orientations. Sa mission de coordonner l’action de tous les secteurs et de faire participer toutes les parties prenantes. Il est donc nécessaire de renforcer la gouvernance des risques de catastrophes aux fins de prévenir, d’atténuer, de préparer, d’intervenir, de relever et de remettre en état les infrastructures détruites. Investir dans la réduction des risques de catastrophes aux fins de la résilience revêt une importance essentielle pour le renforcement de la résilience économique, sociale, sanitaire et culturelle des personnes, des collectivités locales et de leurs biens, et de la préservation de l’environnement en Mairie de Bujumbura. 

André Nduwimana, président de l’APUB précise : «Si nous conjuguons nos efforts à travers le partage des connaissances et d’informations, et ce, de façon concertée, nul doute que nous pouvons mener des actions remarquables pour la protection de la ville de Bujumbura. Sinon, chacun pour soi, nous allons assister comme des spectateurs impuissants à la destruction progressive de notre belle ville, car certains aspects ne seront pas pris en compte avec comme conséquence le gaspillage des moyens énormes dans des actions isolées de réparation qui souvent sont peu inefficaces et éphémères». 

A propos de l'auteur

Jean Marie Vianney Niyongabo.

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