Médias

La précarité des médias, une entrave à la liberté de la presse ?

La précarité financière et professionnelle des journalistes fait objet de débat. Le Conseil National de la Communication (CNC) déplore les mauvaises conditions de travail des journalistes qui dégradent la qualité des contenus diffusés ou publiés. Malgré cette précarité, le régulateur encourage les  médias à repousser les financements pouvant mettre en péril leur indépendance et l’éthique journalistique.

Mme Vestine Nahimana, présidente du CNC : « La difficulté financière est une réalité pour la majorité des organes de presse opérant au Burundi ».

 

Actuellement, le Conseil National de la Communication (CNC) dénombre 248 organes, toutes catégories confondues. Les requérants continuent d’affluer vers l’institution pour demander des autorisations d’exploitation, surtout la création de nouveaux médias tels les web TV et les radios communautaires. « Au moins une fois le mois, une nouvelle TV en ligne ou un magazine se crée. Le CNC plaide pour le renforcement des capacités pour les novices dans le métier de journaliste. Le journalisme est un métier très délicat. A l’instar des médecins,  les médias font partie du domaine sensible », a fait savoir Mme Vestine Nahimana, présidente du CNC lors d’un atelier de renforcement des capacités des professionnels des médias tenu à Gitega en date du 13 au 14 juillet 2023.

Des conditions de travail précaires

La présidente du CNC a révélé que la plupart des médias disposent  des moyens financiers, matériels et humains très limités. Sur le plan technique, elle dresse un bilan négatif. Ainsi, les équipements de production et d’émission sont vétustes, insuffisants, moins performants et parfois inadéquats. Au niveau des ressources humaines, Mme Nahimana parle du manque criant du personnel qui, parfois, mène à une surexploitation des journalistes, à une contractualisation des ressources humaines non qualifiées ou faiblement qualifiées dans le métier. Pire encore, certains journalistes  travaillent sans contrats ou des medias qui œuvrent sans adresse physique connue surtout pour la plupart des médias en ligne.

Sur le plan financier,  on note l’incapacité de certains médias d’honorer les redevances à l’ARCT et une incapacité à assurer parfois une couverture de tout le territoire national – telle que requise dans ses obligations envers le CNC. La présidente du CNC associe la précarité des médias à la crise économique actuelle et aux transformations assez brutales. Dans ce cas, déplore-t-elle les initiateurs des médias préfèrent concéder aux journalistes des contrats précaires, c’est-à-dire à des contrats à durée déterminée et temporaire arguant qu’ils ne disposent pas de savoir-faire, savoir-dire et savoir-être exigés par l’exercice du métier.

« Une situation chaotique »

La crise socio-politique de 2015 n’a pas épargné les médias. La plupart des organisations qui appuyaient les médias ne le font plus. Mme Nahimana considère le fait qu’un média peut vivre uniquement de subventions comme une illusion. De plus, la création d’un média sans aucune autre source de revenus n’a aucun sens. Ce qui est malheureusement, il faut l’avouer, une réalité au Burundi, surtout les médias en ligne.

La présidente du CNC parle d’une situation chaotique. Le métier regorge actuellement de nombreux jeunes « journalistes ». Suite au chômage endémique qui touche particulièrement les jeunes, certains veulent se réfugier dans le journalisme pour joindre les deux bouts. « Il faut l’avouer, les journalistes issus de la plupart des médias privés ne savent pas à quoi ressemble une fiche de paie mensuelle. Certains d’entre eux ne sont pas payés alors que d’autres sont mal payés. Pour ce qui est des systèmes de protection sociale, de l’assurance maladie, rares sont encore les médias qui en font bénéficier à leurs journalistes », déplore-t-elle.

La prolifération des médias, un paradoxe

Au moment du dépôt des dossiers de demande d’autorisation d’exploitation, les initiateurs des médias présentent des dossiers bien ficelés avec des données très convaincantes. Paradoxalement,  quelques mois après, les directeurs ou certains éléments du personnel présentent leur démission, car la précarité de leur métier  ne leur permet plus d’en vivre. « Ils ne parviennent plus à joindre les deux bouts du mois et ont tendance à aller chercher un ailleurs meilleur (qu’ils ne trouvent pas souvent) », s’indigne Mme Nahimana.

Les journalistes quittent la profession, car la rémunération est très petite (ils obtiennent des salaires misérables) ou se retrouvent même sans rémunération, car sans contrat de travail à base duquel ils peuvent formuler des revendications le moment venu, explique-t-elle. Pour le chercheur Stève Cédric Bizimana, le climat des affaires constitue également un frein à cette viabilité puisqu’il ne permet pas la venue d’investisseurs étrangers et les revenus pour les publicités, la communication de marque se trouve amoindri. Cet état de fait touche les médias qui ne peuvent plus retenir les meilleurs journalistes.

Un modèle innovant, mais…

Les jeunes entrepreneurs innovent avec la création  de leurs propres médias. Cependant, certains de ces jeunes font face au manque de ressources financières pour assurer leur fonctionnement. « Il y a des médias qui naissent sans bureau, sans ordinateur, sans enregistreur, sans caméra, sans site web et autres matériels nécessaires pour la collecte, le traitement et la diffusion de l’information », déplore Mme Nahimana.

Le CNC regrette que les jeunes médias ne soient pas priorisés dans les financements destinés aux médias burundais. Il déplore que même le fonds d’appui aux médias mis en place par le gouvernement semble ignorer les médias qui « se cherchent encore ».

Les équipements de production et d’émission sont vétustes, insuffisants, moins performants et parfois inadéquats.

Face à ce manque de moyens, ces jeunes entrepreneurs de presse cherchent des solutions. Plutôt que de dépendre des subventions des ONG et des Ambassades, il faut s’auto suffire : « il faut établir des stratégies pour que nos médias survivent à partir des publicités et des abonnements en ligne », suggère-t-elle. Malgré tout, les médias doivent préserver leur crédibilité plutôt que d’accepter des financements qui les compromettent. Il faut éviter cette position courtisane, le fait de céder la liberté contre le financement.

Un appui public aux médias encore limité

Au nom du droit  à l’information, le gouvernement soutient les médias. La mise en place d’un fonds d’appui aux médias rentre dans cette logique.  Par ailleurs, « l’enveloppe de ce fonds est insuffisante. Il serait bon que le gouvernement l’augmente et que les partenaires au développement l’alimentent au lieu de cibler unilatéralement les médias à appuyer », plaide la présidente du CNC.

D’après Innoncent Nsabimana, consultant en journalisme la santé financière des médias dépend généralement des capacités de leurs promoteurs : l’Etat, églises, les associations et les opérateurs privés. Ainsi, les budgets des médias sont d’origines diversifiées. Ils varient en fonction de plusieurs critères : la nature du médium (télévision, radio ou presse), le volume des ressources humaines, la couverture géographique ou encore les capacités managériales.

Le Fonds d’Appui aux Médias est alimenté uniquement sur la ligne budgétaire de la Direction des Médias avec un montant de 115.000.000 de FBu.  Avec un tel montant, les interventions se limitent à l’octroi des équipements à certains médias. En 2021, le ministère en charge des médias n’a distribué que des kits composés d’ordinateurs et des enregistreurs. Il faudrait veiller à y intégrer la composition du Comité de Gestion du Fonds comprenant de véritables représentants convenus avec les promoteurs et les responsables des différents types de médias.

L’indépendance  des médias remise en cause ?

La difficulté financière est une réalité pour la majorité des organes de presse opérant au Burundi. Le CNC affiche son optimisme quant à l’avancement du métier de journalisme au Burundi. Mais, il attire l’attention des médias sur la nature des financements dont ils bénéficient. « Dans l’incapacité de s’autofinancer, les médias burundais partent à la quête du soutien financier. Cependant, les financements peuvent dans une certaine mesure influer négativement sur la liberté de la presse », avertit la présidente du CNC.

Pour rappel, les professionnels des médias ont l’obligation de ne pas céder à une pression tendant à corrompre l’exactitude de l’information. Or, une récente étude sur le paysage médiatique burundais montre que la fragilité économique des médias a conduit au rapprochement des entreprises de presse avec des partis politiques ou des personnalités politiques susceptibles de les appuyer financièrement. Les journalistes se sont métamorphosés  en courroies de transmission des points de vue des acteurs politiques ou même en propagandistes, constatent les auteurs de cette étude.

La dépendance financière peut toujours torpiller les principes du métier. La tendance des organes de presse bénéficiaires des financements est d’éviter de se créer des ennuis avec le bailleur. Ce qui finit par compromettre l’éthique journalistique et mettre à l’épreuve la crédibilité d’un média. « Il est important que les professionnels des médias s’interrogent vraiment si les financements dont ils bénéficient auront des incidences négatives ou positives sur la liberté de la presse », insiste Mme Vestine Nahimana.

Diversifier les sources de financement

Pour lutter contre la dépendance financière, les médias doivent diversifier les sources de financement. Le CNC soutient que les médias devraient être capables de repousser certains financements pouvant mettre en péril leur indépendance et l’éthique journalistique par la diversification des sources de financement et de revenus.

La présidente du CNC tient à rappeler que des partenaires dignes de ce nom chercheront toujours à travailler avec des médias crédibles. Les médias sont encouragés à travailler en réseau pour présenter des projets consolidés et soutenus aux partenaires. Les responsables des médias communautaires expérimentent déjà un système de réseautage qui s’annonce prometteur pour relever le défi de financement. Les auditeurs via les clubs d’écoute contribuent non seulement à l’amélioration des contenus mais aussi à la mobilisation des fonds pour répondre aux besoins urgents des médias. Dans son analyse sur le modèle économique des médias privés burundais et leur viabilité, le chercheur Stève Cédric Bizimana trouve que les entreprises de presse peinent à s’assurer la viabilité économique pourtant indispensable pour leur indépendance, leur professionnalisme et leur utilité pour la société.

A propos de l'auteur

Benjamin Kuriyo.

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