Gouvernance

La privatisation de l’Onatel serait-elle une solution ?

La santé financière de l’Office National des Télécommunications (Onatel) se détériore davantage. Tous les indicateurs financiers virent au rouge. Son bilan financier est toujours négatif alors que les charges d’exploitation et l’endettement montent en flèche. La société civile tire la sonnette d’alarme

« Malgré le statut d’entreprise commerciale, les ventes ont sensiblement chuté. Le chiffre d’affaires de l’Onatel est passé de  10 milliards de FBu en 2015 à 5 milliards de FBu en 2019, soit une baisse de 50% », a déclare Mme Marie Chantal Nijimbere, ministre de la Communication, des Technologies de l’Information et des Médias lors de la réunion tenue avec les hauts cadres de cette entreprise publique de téléphonie mobile, le 19 novembre 2020.

Mme Marie Chantal Nijimbere, ministre de la Communication, des Technologies de l’Information et des Médias : « La masse salariale est passée de 90 millions de FBu à 300 millions de FBu, soit une augmentation de 240 % ».

Pour montrer l’ampleur de la crise financière que connait l’Onatel, le Premier ministre Alain Guillaume Bunyoni compare l’Onatel à une maison dépourvue de toit, de portes et de fenêtres. « L’Etat burundais ne perçoit aucun sou comme  dividende alors qu’il est le seul actionnaire dans la société publique Onatel. La mauvaise gouvernance à la tête de l’Onatel est à l’origine de cette crise financière », explique le Premier ministre.

Absence de leadership, un fléau dans les entreprises publiques

Les employés rejettent le tort aux dirigeants qui se sont succédé à la tête de cette société. Ils n’avaient pas les compétences requises pour occuper certains postes de responsabilité. Certains d’entre eux n’étaient pas à la hauteur de leur tâche.  Pour H.B, employé de l’Onatel, les décisions étaient prises unilatéralement. « Normalement, c’est le chef qui définit les orientations de la boîte. Sinon, les exécutants sont déboussolés », ironise-t-il.   D’autres disent que le service commercial et marketing de l’Onatel est obsolète. Les agents commerciaux sont incompétents et ne connaissent pas leur rôle.

Les dirigeants des sociétés publiques augmentent les charges publiques jusqu’à recruter du personnel non nécessaire et s’offrent le luxe de s’accorder beaucoup  d’avantages. « Le processus de passation des marchés publics est teinté d’irrégularités telles que la surfacturation, la commande d’un matériel défectueux pour profiter des commissions », a indique  Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de Lutte contre la Corruption et les Malversations Economiques (OLUCOME) dans une correspondance adressée au Président de la République du Burundi.

Face à la concurrence féroce, l’Onatel s’effondre

Pour la ministre Nijimbre, cette société n’a pas pu suivre l’évolution du secteur des télécoms après la libéralisation dudit secteur. L’autre raison est l’augmentation exponentielle de la masse salariale consécutive au nouveau règlement d’entreprise introduit en 2006. Ainsi, la masse salariale est passée de 90 millions de FBu à  300 millions de FBu, soit une augmentation de 240%.

D’après l’audit d’octobre 2011 effectué par Renaissance Capital, l’état de la concurrence locale montrait que la téléphonie mobile ONAMOB n’avait que 5% des parts du marché loin derrière UCOM (63%) et Econet Wireless (19%). L’auditeur montrait également que les indicateurs étaient en dessous des normes habituelles, en particulier en ce qui concerne l’efficacité d’établissement d’appels. Même au niveau de l’internet, l’Onatel ne faisait pas le poids devant ses concurrents.

Une crise financière qui s’éternise

En 2010, la masse salariale représente 27% du chiffre d’affaires alors qu’elle ne devrait pas dépasser 10% chez un opérateur de télécommunication efficace. Fin 2011, la société affichait un résultat déficitaire de 2.194 milliards de FBu.

Mme Nijimbere fait savoir que l’Onatel travaille à perte. Les pertes enregistrées en 2015 s’évaluent à 3 milliards de FBu contre 10 milliards de FBu en 2019. La société est actuellement dans l’incapacité de rembourser ses dettes envers ses créanciers. La dette culmine à 117 milliards de FBu jusqu’en 2019, y compris les amendes relatives au retard de remboursement. D’après le rapport de la commission parlementaire, suite à la concurrence féroce sur le marché des télécoms et à l’insuffisance des investissements en vue d’accroître la production, l’Onatel fait face a une détérioration continue de sa situation financière et de trésorerie.

« Un paradoxe inédit ! »

Depuis sa création, l’Onatel a déjà enregistré une perte de 117 milliards FBu.  Le patron de l’Olucome s’interroge comment on est arrivé là alors qu’il existe des services d’inspection dans le pays. Il qualifie cette situation de paradoxe inédit. Les services publics et privés ont une dette envers la Regideso et l’Onatel de plus de 75 milliards de FBu d’arriérés, souligne-t-il.

En date du 26 juin 2013, la direction de l’Onatel a demandé à son conseil d’administration de l’autoriser à faire recours au crédit bancaire pour le paiement de sa dette de 1.065.242 USD pour les engagements qu’il a pris dans l’achat des capacités auprès de la société de télécommunication « West Indian Ocean Cable Company » (WIOCC). Une privatisation partielle était donc urgente pour faire appel aux capitaux privés en vue d’éviter une faillite de la société d’une part, et pour permettre une meilleure compétitivité de la société d’autre part.

Une privatisation clôturée en queue de poisson

Le processus de privatisation de l’Onatel enclenché en 2009 n’a pas abouti. L’Etat voudrait céder une partie de ses titres. Ainsi, un consultant international a été recruté en vue d’appuyer le gouvernement dans la conduite du processus de privatisation de l’Onatel sur financement de la Banque Mondiale, lit-on dans l’exposé du motif du projet de privatisation de l’Onatel.

L’Onatel travaille à perte. Les pertes enregistrées en 2015 s’évaluent à 3 milliards de FBu contre 10 milliards de FBu en 2019.

Selon la loi du 28 septembre 2013 en son article 2, il fallait privatiser l’Onatel par lotissement et le repreneur stratégique est majoritaire avec une participation nationale ainsi qu’un partage de responsabilités dans la gestion. Une fois privatisée, l’Onatel devrait agir comme une entreprise du secteur privé en concurrence avec les autres opérateurs. Il devra ainsi bénéficier de toute la souplesse d’action, se dégager des pesanteurs administratives et des procédures administratives. La mauvaise situation financière de l’Onatel découle notamment de sa qualite d’entreprise publique.  Malgré les efforts consentis et la mise en place d’une commission de privatisation, la gestion de l’Onatel demeure aux mains de l’Etat.

Une accumulation des dettes

L’entreprise ne parvenant pas à assurer son équilibre financier fait de plus en plus recours aux découverts bancaires et aux financements extérieurs pour son exploitation et éprouve beaucoup de difficultés à financer ses investissements.

Du coup, la société a des difficultés à rembourser les emprunts bancaires et autres dettes fiscales et non fiscales et les fournisseurs. C’est ainsi que l’endettement est estimé à près de 14 milliards FBu dont 11.830.000.000 de FBu de dettes à court terme fin 2011.

« Une montagne qui a accouché d’une souris »

Le plan de redressement de l’Onatel est un vaste programme constitué de trois grands projets, à savoir : l’extension et la modernisation du réseau mobile, l’extension du réseau fixe et l’installation du Wifi public.

L’extension et la modernisation de l’Onamob concerne le remplacement de toutes les antennes par d’autres antennes de troisième et quatrième génération (3G et 4G). Avec ce projet, le nombre d’antennes passe de 51 à 150. L’accroissement du nombre d’antennes permettra l’amélioration de la qualité des appels téléphoniques. L’ex-ministre des TIC Evelyne Butoyi se réjouissait déjà de l’augmentation des abonnés au réseau mobile.

Ainsi le gouvernement a reçu un prêt de 30 millions USD de la part d’Exim-bank pour que l’Onatel puisse évoluer au même titre que les autres compagnies de télécoms. La durée de remboursement de la dette est de 10 ans et la période de grâce est de trois ans. Paradoxalement, la crise financière ne fait que s’amplifier.

L’Olucome tire la sonnette d’alarme

Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome, demande l’intervention  du chef de l’Etat pour sauver les entreprises publiques au bord de la faillite. Pas mal de sociétés publiques sont tombées en faillite ces dernières années alors que les capitaux proviennent soit de l’argent du contribuable ou des bailleurs de fonds. Pour lui, ces sociétés souffrent d’un problème de leadership et de mauvaise gouvernance. Il évoque également le népotisme dans le recrutement du personnel au niveau des sociétés à participation publique.

Il demande aux services habilités, notamment la Cour des Comptes, le Parlement et les services de l’Inspection générale de l’Etat à jouer pleinement leur rôle pour protéger la chose publique.

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Bonaparte Sengabo.

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