Développement

Construction des infrastructures : La priorisation inversée

Le Burundi est dans le dynamisme de se doter de certaines infrastructures :  stade Intwari, centre de conférence aux standards internationaux, palais présidentiel de Gitega, etc.  Des projets jugés non ambitieux, non futuristes, mais surtout certains vont jusqu’à dire qu’ils étaient certes importants, mais qu’ils n’étaient pas prioritaires pour une économie comme celle du Burundi

Le stade Intwari basé dans la zone Rohero au centre de la ville de Bujumbura est en train d’être réhabilité pour répondre aux normes exigées par la CAF. Le 4 mai 2021, la Confédération Africaine de Football (CAF) a suspendu les deux stades importants du Burundi, à savoir : le stade Intwari et le stade Urukundo de Ngozi. La raison est que ces infrastructures ne remplissent pas les normes de la CAF et de la FIFA pour accueillir les compétitions internationales.  Depuis lors, les matchs internationaux que les Burundi est censé accueillir se jouent à l’étranger, généralement en Tanzanie. Selon la Fédération burundaise de football (FFB), les travaux se termineront au mois de mai prochain. 

A quelques centaines de mètres du chantier du stade Intwari, un autre édifice est en train d’être érigé : le centre de conférence. Une infrastructure qui accueillera les congrès, les séminaires, les expositions…Ce centre en construction aura une valeur de 30 – 33 millions USD en construction. Lors de sa visite, après le constat des retards dans l’avancement des travaux, le Président de la République a donné un délai de 7 mois pour finir sa construction. 

Ces deux édifices sont parmi tant d’autres qui sont en cours de construction dans le pays. Certes, les Burundais peuvent se réjouir de ce dynamisme, mais ce dernier semble ne pas assouvir leur soif.  Ceux qui suivent de près parlent de projets sans prétention, mais aussi avertissent sur le risque de leur non durabilité vu l’ambiance dans laquelle ils sont réalisés.

Le Centre de Conférence en construction. Les travaux doivent prendre fin en mai 2023.

Le Burundi se contente du minimum

Quand les plans du stade Intwari en reconstruction et celui du centre de conférence international ont été dévoilés, on l’opinion publique s’est indignée. Certains disaient que le Burundi mériterait mieux que ça au moment où d’autres accusaient les autorités de ne pas pensent aux projets ambitieux qui honorent l’image du pays. Côté infrastructures, le Burundi assurerait le service minimum en comparant ces édifices avec celles des pays de la sous-région comme Kenyatta International Conference Centre inauguré en 1974 ou Kigali Convention Center. Un avis qui est renchéri par Francis Rohero, économiste et enseignement à l’université du Burundi. « Un pays doit être ambitieux ».

Quant à Gabriel Rufyiri, président de l’OLUCOME, ces infrastructures reflètent l’image de la vision sur laquelle le pays est en train de s’aligner. « On ne peut pas aller au-delà de sa vision », argumente-t-il.

Gabriel Rufyiri, Président de l’OLUCOME : « On ne peut pas aller au délà de sa vision ».

 

Construire pour juste construire 

« On ne devrait pas avoir ces choses-là comme si c’étaient des poupées, des jeux d’enfants », expose l’économiste. Pour bien élucider le cas, il donne une anecdote : le cas du président Mobutu. Quelques années après sa prise de pouvoir, une ville sort de terre au milieu de la jungle principale : Gbagolite. Un illustre palais, un aéroport, une centrale hydroélectrique, les banques, la poste…des hôtels de luxe, une usine de Sodas, Gbagolite devient le symbole d’un développement anachronique dans la province de Mbandaka coupée du monde.  Au départ du président du Zaïre, la ville part avec lui. Gbolite est aujourd’hui une ville fantôme. 

« Il faut revoir ce qu’on fait. Si c’est pour se faire plaisir ou servir pour une économie ». Il ajoute : « il faut savoir inventorier ce dont on a besoin et investir dans des choses qui servent à toute une nation et qui sont profitable pour tous ».

Il indique que Mobutu voulait quelque chose de grandiose pour sa satisfaction, mais pas pour celle de sa nation. Et le Burundi a besoin des projets qui serviront à 12 millions d’habitants mais pas ceux d’un secteur aussi important, soit-il. 

Des priorités inversées ?

Une économie doit avoir des piliers, une priorisation dans ce que le pays est en train d’investir. « Entre un stade et un marché qu’est-ce qui devrait commencer », lance-t-il. Pour lui, la reconstruction du stade Intwari ne devrait pas devancer celle de l’ancien marché central de Bujumbura ». Cette infrastructure est utile, mais ne cadre pas avec le développement naturel du pays, ajoute-t-il.

Il explique que le marché central de Bujumbura faisait entrer dans les caisses de l’Etat des millions d’argent et faisait vivre des milliers de gens alors que le stade Intwari est pour les loisirs et sera utilisé quelques weekends. 

D’ailleurs, il se demande à quoi servent les infrastructures si les humains ne peuvent pas les utiliser. Il indique que sous d’autres cieux, la construction des stades est l’apanage des clubs de football, là où ce sport est développé. Les stades sont des biens privés. 

Il ajoute que normalement une infrastructure devrait s’ajuster répondre au niveau de vie de la population. En matière du football, le Burundi se cherche encore.

Francis Rohero, Francis Rohero, économiste et enseignement à l’université du Burundi : « la construction de ce genre d’infrastructures n’est pas une chose qu’on fait avec du populisme ou de la propagande ou via les travaux communautaires ».

La chaîne économique doit être une chaîne de cause à effet

Au niveau générique, c’est d’abord un manque de vision, explique Rohero. « Une bonne vision vous aide à planifier. Vous savez ce qui commence, ce qui va suivre et qui finance l’autre, ce qui peut générer des intérêts et bénéfices et qui peut financer le suivant ».  Ce professeur d’université explique que c’est moins intelligent d’investir dans une chose qui ne va pas refinancer l’autre. 

Une chose est de les construire, mais une autre est de les entretenir. Les infrastructures se délabrent, quand elles ne sont pas bien entretenues.  Un regard rétrospectif montre que certaines infrastructures dont certaines n’ont même pas dix ans d’existence, se fissurent, risquent de s’effondrent. 

L’exemple illustratif est celui des locaux de l’Ecole Normale Supérieure, des routes comme la RN1, du campus Kiriri, certaines infrastructures routes, les hôpitaux, les lampadaires, … L’économie burundaise se montre de plus en plus incapable d’entretenir ses infrastructures. 

La normalité et la durabilité mises en doute

L’églises de Mugera et Buhonga, le pont de Ruvyironza sont des édifices qui viennent de faire plus d’une cinquantaine d’années voire des centaines d’années. Etonnamment, les infrastructures récemment construites sont plus vieilles que celles qui ont été construites cinquante ans auparavant. La question qu’on peut se poser est de savoir si ces infrastructures feront encore la fierté du Burundi, dans la prochaine moitié du siècle. 

Et la raison à cela n’est pas la détérioration de la qualité du ciment ni celle des autres matériaux de construction. Les Burundais sont devenus très corrupteurs, explique Rohero. Et Rufyiri ajoute que la cause de cette situation est à chercher du côté des budgétisations fantaisistes, de la corruption et de l’attribution fantaisiste des marchés. Les mandataires exigent trop de commissions. 

Et dire que les infrastructures à qui on attribue une grande importance se construisent à la hâte est dangereux. « Les infrastructures demandent trop de moyens et d’expertises », explique-t-il. Pour Rohero, faire de bonnes choses prend du temps, et ce n’est pas un jeu d’enfant qu’on construit dans le sable. Ce sont des choses qui sont construites avec des garanties d’une centaine d’années.  

Encore, il insiste sur le fait que la construction de ce genre d’infrastructures n’est pas une chose qu’on fait avec du populisme ou de propagande ou via les travaux communautaires. 

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A propos de l'auteur

Dona Fabiola Ruzagiriza.

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