Integration régionale

EAC : Monnaie unique, où en est-on ?

A côté de l’union douanière et du marché commun, l’instauration de la monnaie unique est l’autre  étape décisive de l’intégration régionale des pays de l’EAC. Les chefs d’Etat des pays membres de cette communauté se sont convenus de la mise en circulation d’une monnaie unique dans cette zone à partir 2024. Où en sont les préparatifs ? Burundi Eco vous fait le point.

Vénuste Ndikumwenayo, directeur des Etudes Economiques et de la Statique à la BRB : « la BRB comme les autres banques centrales des pays de l’EAC doivent adopter un modèle basé sur le ciblage de l’inflation en opérant une mutation vers un régime de politique monétaire basé sur le ciblage des prix »

Plusieurs structures interagissent dans la perspective de l’adoption d’une monnaie unique dans la zone de l’EAC.   Les banques centrales à travers leurs gouverneurs respectifs ont formé un cadre appelé Monetary Affairs Comity (MAC) qui est en fait le comité des affaires monétaires. Ce cadre leur permet d’évaluer les étapes franchies, les contraintes et les perspectives en termes d’harmonisation des politiques que doivent adopter les pays de la zone. Le MAC rend possible une évaluation systématique de l’harmonisation des politiques monétaires et de change dans le but de faciliter les échanges dans la sous-région, la finalité étant l’adoption d’une monnaie unique quand les phases dites de convergence et de conversion seront franchies par les différents pays membres.

Le MAC est subdivisé en 11 sous-comités qui s’attaquent à des thématiques spécifiques conformément aux missions de la banque centrale. A partir de 2016, les gouverneurs se sont rendu compte que la charge de participation dans les sous-comités  était énorme et ils les ont réduits  à 3. Vénuste  Ndikumwenayo, directeur des Etudes Economiques et de la Statique à la BRB fait partie du sous-comité chargé des questions de politique économique et coordination. Il suit de très près tout ce qui se passe dans les autres sous-comités car il préside le comité technique des participants aux activités du MAC provenant du Burundi. Il nous donne quelques détails pour comprendre l’état d’avancement de la mise en circulation de la monnaie unique

Où en est la BRB avec l’adoption d’une monnaie unique ?

Il est important de rappeler que le Burundi n’est entré dans l’EAC qu’en 2007 alors que les autres pays y étaient depuis longtemps. Il a donc attrapé le train en marche. On procède donc à l’ajustement des politiques économiques conformément aux orientations de la communauté. Beaucoup d’étapes ont été déjà franchies. Ce qui concerne beaucoup plus la BRB c’est l’harmonisation de la politique monétaire et de change. C’est aussi la participation active de la BRB à la mise en œuvre du protocole portant sur le marché des capitaux.

En ce qui concerne l’harmonisation de la politique monétaire et de change, il y a des étapes principales à franchir. C’est notamment l’adoption d’un régime de politique monétaire semblable pour  tous les pays de l’EAC.

Le ciblage des prix au lieu du ciblage des agrégats monétaires

Le Burundi utilise un cadre de politique monétaire différent de celui envisagé par la communauté.  En effet, il utilise un cadre basé sur le ciblage des agrégats monétaires. Il date de longtemps et on essaie d’ajuster la politique monétaire en utilisant les instruments dits indirects. On l’utilise parce que si on regarde la dynamique et la structure économique et financière du Burundi, on constate que les marchés ne sont pas  encore assez développés et intégrés. Cette politique est centrée sur la base monétaire encore appelée monnaie à haute fréquence par le biais des instruments indirects. La base monétaire est calibrée sur l’évolution de l’inflation, l’objectif final étant de stabiliser les prix. Donc la banque centrale contrôle l’inflation à travers la maitrise de la base monétaire, cette dernière ayant un lien direct avec la masse monétaire. Et, du coup, la banque centrale maîtrise l’inflation en maîtrisant la base monétaire. Et, en maitrisant la base monétaire, elle aura maitrisé l’évolution de la masse monétaire et  l’évolution des prix.

Dans la perspective de l’intégration régionale qui suppose le développement et l’intégration des marchés, la BRB comme les autres banques centrales des pays de l’EAC doit adopter un modèle basé sur le ciblage de l’inflation en opérant une mutation vers un régime de politique monétaire basé sur le ciblage des prix. C’est ce qu’on appelle en anglais le Price Base Monetary Policy Frame Work. La Banque centrale ne se préoccupera plus des quantités, mais contrôlera les prix parce que les marchés seront suffisamment développés et intégrés quitte à ce que la banque centrale n’aura qu’à contrôler les prix.

Les banques centrales de l’EAC utilisent l’un ou l’autre système

Les banques centrales de l’EAC utilisent l’un ou l’autre système. La Banque centrale du Rwanda comme la BRB utilise le système de ciblage des agrégats monétaires tandis que celle du Kenya utilise les deux en même temps. Nous ne comprenons pas comment ils s’y prennent parce que l’usage de l’un implique l’absence de l’autre, indique M.Ndikumwenayo. La banque centrale de la Tanzanie est très avancée par rapport à la BRB dans l’adoption du système de ciblage des prix tandis que le Sud Soudan se recherche encore par rapport à l’harmonisation du cadre de politique monétaire. C’est la banque centrale de l’Ouganda qui est très avancée en la matière. Elle utilise déjà un système appelé Light Inflation Targeting Frame Work qui est un mécanisme basé sur le ciblage de l’inflation. Les pays de l’EAC apprennent beaucoup de l’expérience de l’Ouganda.

Vers la maîtrise de l’outil  F-PAS

Cela est important dans mesure où le pays qui n’aura pas adopté le système basé sur le ciblage des prix n’aura pas accès à la monnaie unique le temps venu. Pour le Burundi, la BRB a franchi des étapes significatives. Le Price Base Monetary Policy Frame Work (PBMPW) exige la maîtrise d’un outil très important d’analyse et de prévision macroéconomique qu’on appelle le F-PAS (Forecasting and Policy Analysis System) qui permet de dégager les conditions économiques basées sur l’évolution des prix. Il permet aussi de dégager les indications du taux d’intérêt directeur que la Banque centrale applique pour influer sur la dynamique du marché. Dans ce cadre, du 5 au 16 mars 2018, il y a eu une  deuxième formation à la BRB sur la 2ème génération des modèles F-PAS. La première avait eu lieu en juillet 2017. Ces formations par des experts en modélisation des prévisions macroéconomiques vont permettre  aux économistes de la banque centrale de calibrer ce modèle pour intégrer   tous les blocs qui composent la structure économique et financière du Burundi. Cela permettra à la BRB de dégager les indicateurs d’analyse sur lesquels elle se réfèrera pour opérer une mutation vers le régime monétaire basé sur le ciblage des prix.

La réglementation de change, l’autre chantier

La réglementation de change est en cours de révision. Elle n’a pas encore été finalisée pour être applicable à la libéralisation du compte de capital, c’est-à-dire aux mouvements des capitaux et celui des biens et services. L’économie nationale n’a pas encore posé des bases solides pour s’ouvrir aux marchés financiers internationaux. Le mouvement des capitaux est un enjeu majeur. Il peut affecter la stabilité financière. Il y a des prérequis avant de libéraliser ouvertement le compte de capital. C’est pour cela que la Banque centrale doit être vigilante  par rapport à l’ouverture complète du marché national. C’est cela que la nouvelle réglementation de change essaie de prendre en compte actuellement. Le projet se trouve au niveau de la direction de la BRB. Bientôt elle sera mise en vigueur.

Globalement, où en est le Burundi ?

Il est difficile de comparer le Burundi aux autres pays de l’EAC de façon globale. Il y a toute une série d’étapes exigées avant d’atteindre le stade de l’union monétaire. Un pays peut être avancé dans un domaine sans l’être dans un autre.

Le Burundi est en avance dans l’harmonisation des statistiques du secteur extérieur

Le Burundi est avancé dans certains domaines spécifiques comme l’harmonisation des statistiques du secteur extérieur. S’il n’est pas au même niveau, il est en avance par rapport à d’autres pays de l’EAC dans ce domaine. Il est le premier pays à avoir adopté le manuel statistique de la balance des paiements aussi appelé  BPM 6 qui répond aux exigences du FMI. En ce qui concerne les statistiques monétaires, le Burundi est au même niveau que les autres pays de l’EAC. Les agrégats monétaires sont calculés de la même manière que dans les autres  pays membres de cette communauté.

Il est bien placé dans le calcul de l’indice des prix à la consommation

Dans le domaine du secteur réel, les pays de l’EAC sont presqu’au même niveau. Le Burundi est deuxième  en ce qui concerne la couverture géographique  du recueil des informations relatives aux prix qui servent au calcul de l’indice des prix à la consommation qui est une référence dans le calcul du taux d’inflation. Depuis l’année passée, avec l’aide de l’ISTEEBU, on essaie d’étendre la couverture à tous les centres provinciaux du pays, l’idéal étant de couvrir toutes les communes. Les pays font face aux mêmes défis en matière de compilation des statistiques.

Il accuse un retard dans le domaine des assurances

Par contre le pays est en arrière dans le domaine des assurances. Ce secteur est relativement nouveau au Burundi par rapport aux autres pays de l’EAC. Le retard de l’harmonisation des statistiques dans ce domaine peut impacter le développement de l’harmonisation des statistiques monétaires et financières en général.

Quid du deadline de 2024

La question de l’adoption de l’union monétaire est comme une musique où chacun essaie de jouer sa partition. Chaque pays essaie d’améliorer le rythme autant que faire se peut. Le protocole d’union monétaire envisage le modèle dit  à géométrie variable. Les pays font face à des défis différents, certains étant semblables. D’autres défis vont au-delà de la responsabilité d’un seul pays. En l’état actuel des choses, je ne saurais vous dire si le rendez-vous de 2024 est tenable, fait savoir M. Ndikumwenayo.  En revanche, lors des réunions du MAC  et même lors du récent conseil des Chefs d’Etat, le niveau de mise en œuvre des mesures qui doivent aider à cheminer vers le rendez-vous de 2024 n’est pas satisfaisant bien que des progrès significatifs soient perceptibles dans certains secteurs.   Deux exemples pour comprendre comment  la mise en circulation de la monnaie unique est en train de prendre du retard :

L’harmonisation, un grand défi

Isabelle Ndahayo, la ministre à la Présidence chargée des affaires de l’EAC : « La mise en circulation de la monnaie unique suit une feuille de route préétablie qui s’échelonne dans le temps. Beaucoup de choses sont en train d’être faites. Il n’y aura pas de retard »

Le processus d’harmonisation implique plusieurs parties prenantes et  prend donc beaucoup de temps. Prenons à titre d’exemple le cadre légal, juridique ou réglementaire. Au Burundi, certaines exigences de l’EAC impliquent la modification de la constitution. Concernant l’année fiscale au Burundi, elle commence en janvier pour se clôturer le même mois de l’exercice suivant tandis que celle de l’EAC commence et se clôture en juillet. Ce qui entraine un chevauchement sur deux années civiles. Cela implique la modification de la constitution pour se mettre en conformité avec l’EAC. L’harmonisation des lois est nécessaire pour éviter les effets perturbateurs. Or elle prend beaucoup de temps.

3 ans de retard dans la mise en place des institutions

Qui parle de monnaie unique sous-entend des institutions qui sous-tendent l’existence d’une union monétaire digne de ce nom. Il s’agit entre  autres de l’institut monétaire est-africain  (East African Monetary Institute, EAMI en sigle), de l’institution chargée des statistiques, de la commission des services financiers et de celle en charge du respect des lois en vigueur. A titre indicatif,  l’EAMI devait être mise en place en 2015. Aujourd’hui on accuse un retard de 3 ans.

Le dernier sommet des chefs d’Etat a recommandé que les différentes parties prenantes s’activent pour accélérer le processus de mise en œuvre. Nonobstant, le retard déjà enregistré est susceptible de se répercuter sur le rendez-vous de 2024, à moins que les parties prenantes décident de mettre la bouchée double pour rattraper le temps perdu.

La ministre tranquillise

Dans une conférence de presse qu’elle a tenue récemment, la ministre à la Présidence chargée des affaires de l’EAC a tranquillisé l’opinion par rapport à la date butoir de 2024. L’assemblée législative de l’EAC (EALA)  a déjà reçu du conseil des ministres deux textes de lois relatives à la mise en application du protocole de l’union monétaire. Il s’agit du projet de loi de 2017 portant sur la mise en place de l’institut monétaire est-africain ainsi que de celui du bureau des statistiques de la communauté. La mise en circulation de la monnaie unique suit une feuille de route préétablie qui s’échelonne dans le temps. Beaucoup de choses sont en train d’être faites. Il n’y aura pas de retard, a tenu à préciser la ministre en charge des affaires de l’EAC.

A propos de l'auteur

Parfait Nzeyimana.

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Un commentaire
  • Prosper Munezero dit :

    L’harmonisation de la monnaie au sein de l’EAC implique aussi l’harmonisation des normes comptables.
    A mon avis, il est difficile d’obtenir une vue d’ensemble de la situation financière de la Communauté tant que les systèmes comptables sont encore différents. Les autres conséquences de la diversité comptable sont l’impossibilité d’effectuer des comparaisons entre les administrations publiques de pays présentant des caractéristiques similaires et la difficulté de réaliser des analyses statistiques lorsqu’on utilise des informations comptables micro-économiques développées par différents pays appliquant des politiques comptables non comparables.
    Les normes comptables dont il est question ici, ce sont les normes comptables internationales pour le Secteur Public (IPSASs). Tous les pays de l’EAC, sauf le Burundi, ont déjà adopté les IPSAS, ce qui les permet d’avoir une même lecture et interprétation sur une situation financière. Par ailleurs, je ne doute pas qu’il y a de l’inégalité en traitement des subventions et des cotisations communautaires dans les systèmes comptables nationaux.
    Il est vivement recommandé au Burundi d’emboîter le pas les autres pays membres de l’EAC en adoptant ces normes pour accroître la transparence et la comparabilité de l’information financière. C’est une nécessité aussi pour les citoyens, ainsi que pour les éventuels investisseurs, de pouvoir comparer la situation de différents pays membres. Ils ont besoin d’informations comparables sur la situation et l’évolution financières des pays membres.

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