Santé

Fautes et erreurs médicales : Quand les victimes ne savent pas à quel saint se vouer

Les erreurs médicales sont une réalité dans notre pays. Les témoignages les concernant fusent de partout. Certains en meurent, d’autres deviennent des handicapés.  Rares sont les victimes qui portent plainte parce qu’elles se heurtent à une base légale insuffisante. Les causes, les conséquences et les tentatives de solutions dans cet article

Marie Bukuru : « Au cours des systèmes d’enseignement qui se sont succédé, nous avons alerté sur une probable dégradation de la qualité de l’enseignement, que les réformes dans le domaine de la santé doivent être analysées à la loupe, mais notre voix n’a pas été entendue ».

Les témoignages des victimes des fautes et erreurs médicales sont légion… des doses élevées ou mal injectées, des prescriptions médicales sans vérifier les antécédents du malade. Les exemples sont nombreux. Certains en meurent au moment où les autres en gardent des séquelles.

C’est le cas pour Léonard*, un habitant de la mairie de Bujumbura. En 2008, il a contracté une maladie de l’œil qui nécessite une opération. Après avoir subi cette opération, son calvaire a commencé. La situation s’est aggravée de jour en jour jusqu’à ce qu’il se rende à l’étranger. « C’est là où on l’a informé qu’il a été victime d’une dose d’anesthésie périmée », dit-il.  Depuis, il a déjà subi cinq opérations qui lui ont coûté les yeux de la tête.

Quand il a voulu traduire en justice la structure dans laquelle il a été opéré pour la première fois, il s’est heurté à un obstacle : manque de preuves. Homme de droit, il savait que sans preuves, la justice n’allait rien faire pour lui.

 La qualité de l’enseignement dégradée

Marie Bukuru fut une infirmière spécialisée en formation et gestion des soins. Aujourd’hui, retraitée, il a été au service de l’Etat pendant 43 ans. Pour elle, il faut revoir la politique du pays en matière d’enseignement public dans le domaine médical. « Au cours des systèmes d’enseignement qui se sont succédé, nous avons alerté sur une probable dégradation de la qualité de l’enseignement, que les réformes dans le domaine de la santé doivent être analysées à la loupe, mais notre voix n’a pas été entendue ».

Elle explique que la dégradation de la qualité d’enseignement, les conséquences de ces réformes ont commencé à se voir petit à petit. « Nous avons commencé à remarquer de la dégradation de la qualité des prestations des stagiaires qu’on nous envoyait », dit-il.

Après de longues revendications, les professionnels de la santé ont pu bénéficier d’un salaire un peu décent par rapport aux autres fonctionnaires. Depuis lors, tout le monde voulait embrasser le secteur de la santé non pas par vocation mais par spéculation, fait savoir Bukuru. Comme analyse Bukuru, c’est à ce moment qu’on a assisté à un boom des écoles paramédicales privées dans tout le pays et la création des facultés orientées vers la médicine dans les universités. Pour Marie Bukuru, tout cela a fait que l’enseignement produise des lauréats qui ne sont pas à mesure de prester selon la déontologie et l’éthique.

Ce n’est pas que l’enseignement

En parlant de fautes et des erreurs commises par les prestataires de soins et de leurs causes, il ne faut pas épargner les conditions de travail dans lesquelles ils travaillent. Au moment où l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) préconise une relation personnelle soignant/bénéficiaires de soins à un infirmier sur 5 malades, la réalité au Burundi est toute autre. « Dans les hôpitaux publics, un infirmier peut s’occuper jusqu’à 20 personnes lui seul », fait savoir Bukuru. Elle affirme aussi que le volume de travail est une autre source de stress qui peut pousser un prestataire de soins à commettre des erreurs dans les soins.

Il explique également que les conditions matérielles qui ne sont pas réunies, les conditions salariales qui ne sont pas alléchantes …pour une personne à conscience émotionnelle simple peuvent pousser un prestataire de soins à commettre une erreur involontaire. « Les responsables politiques devraient se dépêcher à entendre les revendications du personnel de la santé parce que ce sont les vies des gens qui sont enjeu ».

Sous d’autres cieux, des études exploratoires sont faites afin de déterminer les besoins dans chaque domaine.  Ces études servent de base légale dans le recrutement des fonctionnaires, dans la fixation du budget alloué à chaque ministère, … Les conditions de travail ne sont pas les mêmes, dit-elle.

La politique dans tout cela

La politique s’est invitée dans les soins », explique Marie Bukuru. Elle expose que dans les recrutements, les compétences ne sont plus tenues en compte. Le personnel est recruté sur base des appartenances politiques. Les prestataires des soins ne se sentent pas protégés par les responsables des structures sanitaires. Ces derniers ne défendent pas leur personnel par peur de perdre leurs postes. Ils veulent plaire aux gens qui les ont mandatés plutôt que de plaider pour leur personnel et le bon fonctionnement de la structure qu’il dirige, informe -t-elle.

La loi est muette

Prouver qu’il y a eu faute médicale n’est pas chose facile puisque dans la loi n° 1/12 du 30 mai 2018 portant Code de l’offre des soins et services de santé au Burundi., rien n’est claire. Les victimes se heurtent à une base légale insuffisante. C’est pourquoi rares sont ceux qui portent plainte. Sous d’autres cieux, pour prouver qu’il y a eu faute médicale, il y a la médecine légale pour trancher.

Toutefois, cette professionnelle de la santé fait savoir qu’en cas d’erreur commise par un prestataire de soins, il y a moyen de dénoncer le cas auprès des responsables des structures de soins. « Normalement, l’administration de la structure de santé nomme   une commission d’enquête ou un conseil médical qui doit déterminer les causes et les conséquences de son acte ». Elle explique qu’ils peuvent demander l’expertise des juristes si nécessaire.

Là, encore rares sont des fois où ce protocole est respecté. Dans de nombreux cas, les responsables des structures sanitaires étouffent l’affaire afin de couvrir leurs collègues et le corps médical est perçu comme intouchable.

Il faut un cadre légal à tout prix

Sylvain Habanabakize, chargé de plaidoyer et communication au sein du Cadre d’Expression des Malades du Burundi (CEMABU) indique que le problème imputable à toutes ces tracasseries est qu’il manque une institution chargée de faire des expertises pour dégager la responsabilité du prestataire de soins.

Le ministère de la Santé devrait s’asseoir assemble avec tous les concernés, pour que le pays se dote de cette expertise. Une autre idée qu’il partage avec Marie Bukuru est d’exiger aux structures de la santé de souscrire à une assurance pour indemniser les victimes quand la responsabilité de la structure est établie.

Mais en attendant, Marie Bukuru conseille aux autorités de préparer périodiquement, le programme de renforcement des capacités en matière de déontologie et éthique médicale dans les domaines où les prestations sont lacunaires.

 

A propos de l'auteur

Dona Fabiola Ruzagiriza.

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