Economie

Commerce de l’or à Bwiza : Les bijoutiers peinent à s’approvisionner

L’or devient de plus en plus rare dans la zone Bwiza de la mairie de Bujumbura. Ce qui occasionne sa cherté. Actuellement, le prix d’1g varie entre 85.000 et 95.000 FBu. Les bijoutiers craignent une augmentation incessante du prix. Ils demandent la formalisation du commerce de ce produit considéré, un des principaux générateurs de devises

Bienvenu dans la cité de l’or, Bwiza, une des zones de la commune urbaine de Mukaza dans la mairie de Bujumbura. Située au centre de la capitale, Bwiza est renommée pour son commerce de l’or et de l’argent. La première, la deuxième et la troisième avenue des quartiers I et II de cette zone en sont champions. Ce commerce est fait dans de petites maisonnettes, constituées souvent par une chambrette et un petit salon. Bijouterie dynamique, Bijouterie Don Divin d’or… ; tels sont les exemples d’appellations gravées sur les murs de ces maisonnettes. Beaucoup de futurs mariés s’y approvisionnent en anneaux d’alliance et en chaînettes. 

Cyprien Ntibandetse, président de l’Association des Bijoutiers du Burundi (ABB) : « Pour se procurer de l’or, la plupart des bijoutiers font recours aux spéculateurs. Ces derniers cachent des quantités de l’or pour les remettre sur le marché. Cela quand les prix explosent »

C’est le cas d’E.H et C.K rencontrés à la deuxième avenue du quartier I le 11 avril 2019. Ils affichaient un air désespéré, mais avait le courage de ne pas rater le rendez-vous de leur mariage fixé au mois de mai.

«C’est la deuxième fois que nous venons voir si nos anneaux d’alliance ont été confectionnées, mais sans succès », explique E.H. Un autre couple à côté murmure : «Nous avons trouvé la solution à cette question en faisant confectionner les anneaux d’alliance en argent. Cela parce que l’or est très cher. 1 g d’argent coûte 6. 000 FBu seulement».

Le couple d’E.H, lui aussi, n’avait pas commandé les anneaux d’alliance selon la quantité en grammes voulue. Pour minimiser les dépenses, il avait commandé 1,5 g au lieu de 2, 5 g par alliance.

«A voir la pénurie de l’or sur le marché, le prix d’1 g peut être revu à la hausse jusqu’à plus de 100.000 FBu», explique un bijoutier de Bwiza.

Augmentation cyclique du prix de l’or

«Entre 2009 et 2014, le prix d’1 g d’or est passé de 28 000 FBu à 70 000 FBu. Aujourd’hui, il oscille entre 85 000 FBu et 95 000 FBu », fait remarquer Cyprien Ntibandetse, président de l’Association des Bijoutiers du Burundi (ABB).

Evolution des exportations de l’Or en milliards de BIF (Source : ISTEEBU)

Il explique que l’augmentation du prix de l’or est liée à la valeur du dollar américain sur le marché burundais de change. Et de marteler: « La récente mesure de la session du Conseil National de Sécurité (CNS) du 26 septembre 2018 a été aussi une des causes de la pénurie de l’or dans les bijouteries. Le CNS a procédé au rappel à l’ordre et à l’application de la loi dans le secteur minier. C’était dans les recommandations issues de la session du 26 septembre 2018. Il avait imposé une suspension de toute activité minière pendant un mois ».

Evolution des exportations du café en milliards de BIF (Source : ISTEEBU)

M. Ntibandetse affirme que ce n’est plus facile pour les bijoutiers de s’approvisionner en or. Maintenant, ajoute-t-il, l’exploitation de l’or est faite par les sociétés. « Ceux qui le faisaient informellement sont tenus de créer leurs propres sociétés. Or, ce sont ces derniers qui nous approvisionnaient en or. Aujourd’hui, on est obligé de s’en approvisionner dans les comptoirs. Malheureusement, le prix d’achat n’est pas bien spécifié », déplore M. Ntibandetse.

Pour se procurer de l’or, il confie que la plupart des bijoutiers font recours aux spéculateurs. Ces derniers cachent des quantités de l’or pour les remettre sur le marché. Cela quand les prix explosent.

Les pertes de tous côtés

Comme l’or n’est plus disponible sur le marché local, le représentant de l’ABB informe que cela rallonge les délais de livraison des commandes. «Avant, le délai de livraison était une semaine seulement. Maintenant, nous donnons à nos clients un mois», s’exclame-t-il.

Quant aux employés, M.Ntibandetse signale qu’ils ne sont plus salariés mensuellement. «Nous les rétribuons au prorata de ce qu’ils ont produit ».

D’autres défis causés par la pénurie de l’or sont l’irrégularité dans le paiement du loyer, du minerval, des taxes de l’Office Burundais des Recettes (OBR) fixées forfaitairement à 30.000 FBu par trimestre… 

M.Ntibandetse recommande que pour éviter une probable concurrence déloyale, le commerce de l’or devrait être formalisé jusqu’aux petits exploitants.

Une école qui a duré le temps de la rosée

Le patron de l’ABB pense que l’informel observé dans l’exploitation de l’or serait lié à l’absence d’une école dispensant des connaissances en matière d’exploitation minière. Il rappelle que vers les années 1980, un indien et un sénégalais avaient créé l’ «Ecole d’Apprentissage Bijouterie». 

«Celle-ci n’a fonctionné que pendant trois ans , regrette-t-il avant d’informer que de telles écoles apporteraient de la valeur ajoutée dans le secteur minier. 

Que dit la loi ?

La loi du 16 janvier 2015 portant code de commerce n’est pas spécifique à la commercialisation de chaque produit.

Cependant, elle stipule en son chapitre III, article 4 que les prix des biens, des produits et des services sont librement déterminés par le jeu de la concurrence.

Toutefois, dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison de la situation de monopole, de monopsone, ou de difficultés durables d’approvisionnement, des dispositions particulières peuvent réglementer les prix.

L’or, premier fournisseur de devises au premier trimestre de l’année

Sur son compte linkedln, Bellarmin Bacinoni annonce que l’or est le premier fournisseur de devises du pays. Cela contrairement à ce qu’on croyait que c’est le café qui fournit 60 % de devises au pays. Le constat n’a de fondement qu’ au premier trimestre de l’année.

Citant les données tirées du site de la Banque de la République du Burundi (BRB), il précise que pendant le premier trimestre de 2018, l’or a généré environ 56 milliards de FBu (88 kg vendus), alors que le café a procuré au pays l’équivalent de 24 milliards de FBu pendant cette période. 

En 2017, à la même période, l’or a apporté au pays près de 16 milliards de FBu (25 kg exportés) au moment où la valeur marchande du café exporté était de 5,5 milliards de FBu. 

«D’une année à une autre, sur la même période considérée, la production de l’or avait progressé de 352 %. Par ailleurs, si vous considérez les exportations des produits primaires du premier trimestre 2018, vous constaterez que l’or y avait déjà contribué à plus de la moitié. Sur plus de 110 milliards de FBu issus des exportations des produits primaires, environ 56 milliards provenaient de l’or», éclaire M.Bacinoni.

Le Bulletin du Commerce Extérieur (4ème trimestre 2018) produit par l’Institut des Statistiques et Etudes Economiques du Burundi (ISTEEBU) donne les chiffres comparatifs sur la fourniture de devises au pays par le café et l’or. Au premier trimestre 2018, l’or a alimenté le pays 50,23 milliards de FBu tandis qu’à la même période, le café a alimenté le pays à hauteur de 21, 60 milliards de FBu. Au quatrième trimestre 2018, l’or a procuré au pays 4, 81 milliards de FBu tandis qu’à la même période, le café l’a fait à hauteur de 32, 61 milliards de FBu.

A propos de l'auteur

Mélance Maniragaba.

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