Genre

Les Droits de la femme évoluent sous le poids des barrières culturelles

A la veille de la journée internationale de la femme, édition 2024, le Bureau de la Banque Mondiale au Burundi a organisé un panel autour du thème : « Investir en faveur des femmes pour accélérer le rythme du développement ».  Les paneelistes ont passé au crible l’état des lieux des Droits de la femme au Burundi. Les aspects relatifs à l’accès aux crédits, à la persistance des barrières socio-culturelles, à l’héritage des femmes et à la flambée des cas de violences sexuelles et basées sur le genre ont dominé les débats. Flashback sur les clauses de cette rencontre.

Par rapport à l’héritage des femmes, la représentante de la Banque Mondiale au Burundi parle d’une certaine évolution des mentalités dans certaines régions du pays

 

Il est reconnu que l’élimination de la pauvreté et l’instauration d’un développement durable ne peuvent se réaliser sans l’éradication des inégalités liées au genre, fait remarquer Dr Sabine Ntakarutimana, vice-présidente de l’Assemblée Nationale.

Pour ce faire, le Burundi a adopté les instruments internationaux en faveur de l’inclusion de la femme dans tous les programmes de développement.  Il s’agit notamment de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations-Unies, du Programme d’action de la Conférence Internationale sur la population et le développement, de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.  Dans notre pays, les femmes représentent plus de 50% de la population et nous vivons dans une société patriarcale où c’est l’homme qui incarne la qualité du chef du ménage.  Au niveau légal, il faut noter qu’il y a une volonté politique manifeste qui prône la promotion de l’égalité des genres.

Pourquoi investir en faveur de la femme ?

La moitié du capital humain au Burundi est féminin. Ce qui veut dire que la mise en place d’une loi ou d’une quelconque décision qui défavorise la fille ou la femme c’est comme si on part au combat contre la pauvreté en laissant la moitié de son armée de côté. Ça ne peut pas fonctionner, caricature Omer Zang Sidjou, spécialiste principal Santé a la Banque Mondiale.

Cet expert de la Banque Mondiale argue qu’investir dans la femme c’est investir dans le capital humainIl est bien établi économiquement que si on réduit les écarts entre les hommes et les femmes en matière d’accès à l’éducation, le retour sur investissement est amélioré, déclare Omer. Il explique qu’investir dans l’éducation d’une fille produit plus d’impact sur les communautés. Economiquement, quand une femme reçoit un revenu de son travail, elle va plus l’investir dans le bien-être de ses enfants. Par conséquent, plus une femme a un revenu, mieux sera le capital humain, car elle investit dans ses enfants.

Au-delà de la santé, les connaissances d’une mère même si elle ne travaille pas impactent directement la survie des enfants.  « La santé et l’éducation constituent des fondamentaux, mais il faut accorder les mêmes chances aux hommes et femmes dans l’accumulation des revenus et des richesses pour promouvoir le développement durable », dixit Zang Sidjou.

Un accès limité aux sources de financement

Dans un contexte où les femmes n’ont pas accès a la propriété alors que les parcelles ou les immeubles constituent les principales garanties bancaires en hypothèque, l’accès aux sources de financement n’est pas facile pour la femme burundaise. D’après Mme Agathe Nsengiyumva présidente de la Concertation des Collectifs des Associations Féminines de la Région des Grands Lacs (COCAFEM/GL), les difficultés liées à l’accès aux actifs freinent l’épanouissement de la femme.

Pire encore, poursuit-elle, même pour les femmes cultivées qui ont des immeubles, qui exercent le business, elles n’ont pas droit d’hypothéquer des biens en immeubles sans l’aval de leurs époux. Elle signale également les cas de discordances entre les conjoints sur les investissements à faire.  Parfois les hommes ne l’entendaient pas de la même manière et, pourtant, tout ce que la femme fait est pour l’intérêt du ménage. C’est pour contribuer au développement des ménages.   Malheureusement, certaines femmes d’affaires rencontrent des cas d’opposition de la part des maris pour accorder les biens en hypothèques. Dans ces conditions, la femme est prise au piège car elle accède difficilement aux capitaux pour faire rouler son business.

Les participants au panel ont dénoncé l’attitude des maris qui détournent le plus souvent l’objet même du crédit.  « Les hommes jouent la malignité et font semblant de faciliter la femme d’avoir un crédit mais, une fois le crédit débloqué, les maris véreux changent de camp.  Ils draguent leurs épouses pour réorienter le crédit vers des projets jugés rentables.  Au finish, ils dépensent la totalité du crédit au deuxième bureau.  Et la femme se retrouve dans l’incapacité de rembourser le crédit, déplore Fidèlie Bivugire, membre de l’Association des Femmes entrepreneurs du Burundi (AFAB).

A quand une loi sur les successions ?

Malgré la mise en place de la loi sur la sûreté immobilière qui vient pour améliorer l’accès au financement des femmes, l’absence d’une loi sur la succession reste un grand souci pour promouvoir les droits économique de la femme. Dr Ntakarutimana affirme que la loi sur la succession est une préoccupation des femmes burundaises, mais que les points de vue divergent. « Quand on va à l’intérieur du pays…tout le monde ne l’entend pas de cette oreille. La tendance est que certains parents instruits accordent les mêmes droits à leur progéniture en matière de succession.  D’autres disent qu’une telle loi génèrerait des conflits fonciers, dans la mesure où par transitivité le gendre aura désormais des biens à gérer dans sa belle-famille », nuance-t-elle.  Le plaidoyer continue tout en appelant chacun à jouer son rôle. Ce n’est pas l’apanage de la société civile ou des femmes.

La représentante de la Banque Mondiale au Burundi parle d’une certaine évolution des mentalités dans certaines régions du pays. Mme Hawa Cissé Wague fait allusion aux résultats positifs du projet restauration du paysage.  Il a été constaté que les femmes bénéficiaires du projet de restauration du paysage ont pu décrocher des titres fonciers en leurs noms dans la commune Isale de la province Bujumbura. Preuve que les communautés sont prêtes pour le changement. Elle encourage les autorités à saisir la balle au bond pour adapter graduellement la législation et évoluer vers une loi qui permettrait aux femmes de recouvrer pleinement leurs droits à l’héritage.

La vice-présidente de l’assemblée Nationale a pris bonne note de toutes les recommandations formulées.  Elle a accepté de faire le suivi tout en rappelant que les procédures législatives au Burundi commencent au niveau exécutif.  « Nous pouvons proposer une loi, mais ce n’est pas évident que le processus aboutisse », a-t-elle conclu.

Une faible représentativité des femmes

La représentativité des femmes dans les secteurs de la vie du pays demeure une préoccupation. Cela étant, la Constitution de la République du Burundi offre un quota de plus ou moins 30% de représentations des femmes dans les postes de prise de décision et dans les postes électifs.  Pour le moment, les femmes sont représentées à hauteur de 39% à la chambre basse du parlement, 48% au Sénat et 30% au niveau de l’exécutif. Le Burundi compte 19 provinces, y compris la mairie de Bujumbura et les femmes arrivent dans les proportions de 16% dans les provinces et 34% au niveau des communes.

Notez que dans les postes techniques, les femmes sont peu représentées. « En tant qu’élue, nous continuons à plaider pour le respect la loi fondamentale qui consacre le principe d’égalité des jeunes et des femmes en termes de changements sociaux économiques et culturels, civiques et politiques », s’engage Mme Ntakarutimana.

De l’extrême pauvreté aux femmes d’affaires

Le projet de protection des filets sociaux MERANKABANDI a été initiée par le gouvernement. Sur financement de la Banque Mondiale, le projet cible les ménages les plus vulnérables touchés par l’extrême pauvreté. Les femmes sont au cœur des interventions dudit projet. Elles bénéficient à la fois des transferts monétaires et d’un accompagnement, annonce Michel Nyabenda, Coordinateur du projet Merankabandi.

Dans toute la zone d’action, les montants épargnés ont augmenté de dix fois, fait savoir Michel Nyabenda, coordinateur du projet MERANKABANDI.

Les bénéficiaires du projet Merankabandi ont quitté le stade de vulnérabilité pour devenir des actrices économiques à part entière.  Les résultats de la phase pilote sont très satisfaisants. Ainsi, 100 % des bénéficiaires ont adhéré à des groupes de solidarité et une bonne partie d’entre elles (70%) ont intégré les groupes d’épargne et de crédit communautaire.  Elles pratiquent désormais l’épargne communautaire avec une augmentation exponentielle des contributions.  Dans la province de Ruyigi, nous avons enregistré des résultats spectaculaires où les contributions à l’épargne sont passées de 1 000 FBu à 13 000 FBu.

 

Dans toute la zone d’action, les montants épargnés ont augmenté de dix fois. Bref, le projet les a outillées pour entrer dans la dynamique d’une autonomisation durable. Elles ont investi dans des activités génératrices de revenus. A titre illustratif, celles qui se sont lancées dans le business des tomates ont un chiffre d’affaires évalué en termes de millions de FBu. Elles fournissent cette denrée dans les autres provinces du Nord du pays jusque à dans la capitale économique. En investissant en faveur des femmes et dans les femmes, cela a permis d’accélérer le rythme de développement, se réjouit M. Nyabenda.

Vers la prévention du cancer du col de l’utérus ?

La championne Francine Niyonsaba penche pour la promotion de la santé des femmes.  Pour elle, on ne peut parler d’investissement sans la bonne santé.  La porte étendard des patientes du cancer du col de l’utérus suggère des actions d’urgence pour un dépistage précoce de cette pathologie mortelle et l’accès au traitement efficace surtout pour les femmes rurales qui ont des moyens limités.

La championne Francine Niyonsaba penche pour la promotion de la santé des femmes.

Le moyen le plus efficace de lutte contre le cancer du col de l’utérus est d’administrer un vaccin.  En ce sens, la Banque Mondiale appuie le gouvernement pour déployer le vaccin contre le VPH au Burundi. « Nous sommes à la phase préparatoire avec l’Alliance Mondiale sur les Vaccins (GAVI).  Dans le cadre d’un projet de renforcement du capital humain en vue de la Banque Mondiale, il y aura non seulement aboutissement du mécanisme d’adoption mais aussi le déploiement de ce vaccin à grande échelle pour les jeunes filles de 9-14 ans ».  Pour la prise en charge, il est important que celles qui sont déjà cancéreuses puissent avoir des soins adéquats, déclare Omer Zang Sidjou, Spécialiste Principal de la Santé au bureau de la Banque Mondiale.

Privilégier l’harmonie matrimoniale 

Le statut social de l’homme le place à la tête de la famille en tant que chef du ménage. Ce qui fait que les hommes réagissent différemment aux initiatives d’autonomisation de la femme. Dans un premier temps, ce n’était pas facile, mais les hommes changent progressivement d’attitude. Après tout, tous les membres du foyer profitent de ces initiatives, observe Mme Agathe Nsengiyumva. Les campagnes de sensibilisation sur la masculinité positive jouent un rôle crucial pour briser les préjugés et les stéréotypes qui bloquent l’épanouissement de la femme. De surcroît, cela contribue au relèvement socioéconomique des ménages, énonce-t-elle.

Pour Dr Ntakarutimana quand la femme apporte des revenus pour la famille, elle est respectée. Cependant, l’apport des revenus n’est pas un motif de prendre le dessus de la famille.  « Comme nous sommes dans une société où c’est l’homme qui est chef de ménage.  Quand une femme occupe une position où elle est bien rémunérée, je pense que c’est pour le bien de la famille. Ce n’est pas pour détruire la famille ».  Dans la plupart des cas, certaines familles ont des problèmes familiaux qui ne sont pas directement liés aux revenus de la femme. Tout de même, admettons qu’il y a des hommes qui se sentent rabaissés en quelque sorte quand le revenu de la femme est supérieur à celui de l’homme. Il faut faire en sorte qu’il y ait une sorte d’entente mutuelle sur l’utilisation des ressources.  Bref, il faut dans tous les cas privilégier l’harmonie matrimoniale qui n’est pas seulement liée au pouvoir de l’homme sur la femme.

Les VBG prennent une allure inquiétante

Pour la société civile, les effectifs des cas de violences basées sur le genre (VBG) sont alarmants et très inquiétants. Dans un premier temps, la société civile estime qu’il s’agit de l’impact des campagnes de sensibilisation sur les formes de VBGs. « Je me dis que ces cas existaient auparavant, mais ils n’étaient pas suffisamment dénoncés, car la population n’était pas sensible à la question. En outre, il y avait une sorte de tolérance de certaines formes de VBGs qui passaient inaperçues alors que les horreurs étaient là : les cas d’incestes, des viols sur les fillettes ne datent pas d’hier, mais le phénomène est tellement alarmant, surtout que ces cas sont suivis par des meurtres », réagit Mme Agathe Nsengiyumva, présidente de la Concertation des Collectifs des Associations Féminines de la Région des Grands Lacs (COCAFEM/GL.

Par hypothèse, les auteurs de ces forfaits ôteraient la vie aux victimes de peur d’être identifiés et poursuivis en justice. D’autre part, la société n’est pas tellement sensible aux violences pour preuve même les juges exigent des bilans médicaux pour démarrer les enquêtes judiciaires, regrette ce défenseur ardent des droits de la femme.  La société banalise toujours les violences domestiques ou économiques qui sévissent dans les ménages à tel enseigne que même les femme victimes ne s’en rendent pas compte que leurs droits sont bafoués, dénonce Mme Nsengiyumva.

Elle propose la révision de la loi spécifique sur les VBGs, car les sanctions prévues ne sont pas du tout proportionnelles à la gravité des crimes commis.  Pour lui, il faut une synergie pour que ce genre de crimes ne reste pas impuni.  La société devrait être sensible au genre et en découdre avec la solidarité négative.  On remarque qu’il y a des cas de couverture des auteurs présumés. Ce qui fait que les infractions liées aux violences faites à l’égard des femmes restent impunies.

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Benjamin Kuriyo.

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