Agriculture

Quand les multiplicateurs obstruent la chaîne de production de semences

La spéculation qui s’observe dans la chaine de production des semences, les défis liés au traitement et au stockage des semences ainsi qu’à la distribution et à la commercialisation de ces dernières sont des facteurs qui font que très peu d’agriculteurs accèdent aux semences certifiées    

L’accès aux semences sélectionnées constitue un casse-tête chez les agriculteurs. Selon  certains experts qui opèrent dans le secteur agricole, les statistiques montrent que seulement moins de 10%  des agriculteurs ont accès aux semences sélectionnées. Les semences non certifiées du secteur informel sont  les plus utilisées par les exploitants pratiquant l’agriculture d’autosubsistance. 

Selon Dr Ir Willy Irakoze, directeur de la recherche à l’ISABU, à travers le plan national semencier qu’il a élaboré en 2022, les agriculteurs ont tendance à récupérer leurs propres semences d’une saison à l’autre. Ils restent fidèles à une variété qu’ils connaissent et en laquelle ils ont confiance même si cette variété n’est pas associée à un rendement maximal. 

Selon  Irakoze, la raison de cette situation est que le schéma de la production des semences  n’est pas respecté.  En principe, les semences de pré-base produites au sein des institutions de recherche sont vendues aux multiplicateurs des semences afin de produire les semences de base et les semences certifiées. Ces semences sélectionnées sont enfin vendues aux agriculteurs pour produire des consommables. Ces derniers sont actuellement  estimés à 1389 multiplicateurs des semences agréés par l’ONCCS et sont éparpillés dans toutes les provinces du pays. Parmi ces derniers, plus de 50% se trouvent dans 5 provinces qui sont entre autres Bururi, Cankuzo, Muyinga, Ruyigi et Karusi.  

Pourtant, la déperdition observée au niveau des semences de pré-base et de base consommées ou utilisées directement par les agriculteurs via les achats ou la distribution  opérée par certains projets, les programmes ou les ONGs tend à inverser le schéma normal de production des semences.  

Selon Irakoze, cela s’explique par la récente étude menée  par l’ ONCCS en septembre 2020 qui montre la disparition d’un volume consistant des semences certifiées qui devraient rester dans la chaine semencière afin de contribuer à l’accroissement de la production des consommables.   Pour cela, il demande à l’ONCCS en collaboration avec COPROSEBU et la direction générale de l’agriculture à travers la direction chargée de la promotion des filières agricoles et des produits forestiers non ligneux d’accentuer la surveillance lors de la production et de la diffusion des semences des dernières générations.

Ir Willy Irakoze, directeur de la recherche à l’ISABU : « Les agriculteurs ont tendance à récupérer leurs propres semences d’une saison à l’autre. Ils restent fidèles à une variété qu’ils connaissent et en laquelle ils ont confiance même si cette variété n’est pas associée à un rendement maximal ».

Traitement et stockage  des semences, un des défis   

Selon toujours Irakoze, le processus de traitement et de stockage  des semences  pose problème dans la production des semences certifiées. Ce processus porte sur le séchage, le battage, le pré-nettoyage, le nettoyage, le poudrage, le calibrage par taille, le contrôle de la qualité, le conditionnement, l’emballage et l’étiquetage. 

Au Burundi, Irakoze indique que  rares sont les producteurs et les multiplicateurs qui exécutent toutes ces étapes. Et Certaines de ces dernières le sont  de façon archaïque suite au manque de pesticides et d’équipements adéquats. 

 Il en est de même pour le processus de stockage et de conservation des semences, renchérit-il. Et d’ajouter que l’insuffisance des infrastructures de stockage et le manque de connaissances  dans le traitement et le stockage des semences constituent aussi une des sources importantes de la détérioration de la qualité  et de la diminution de semences du secteur informel.  Irakoze fait alors remarquer que la disponibilité des équipements et infrastructures modernes ainsi que le renforcement des capacités des acteurs impliqués dans la production semencière restent la clé du développement incontestable de ce maillon.

La distribution et la commercialisation des semences posent problème  

La distribution des semences est aussi un défi majeur, déplore Irakoze.  Elle consiste à mettre physiquement les semences à la disposition des agriculteurs. Elle peut se faire directement entre le multiplicateur et l’agriculteur ou indirectement en impliquant les intermédiaires à l’instar des commerçants grossistes ou détaillants. 

Selon Irakoze, la distribution directe est la plus préférable, car elle permet de conserver les attributs de la semence contrairement à la distribution indirecte qui implique des gens n’ayant pas tout un paquet technologique de stockage et de conservation des semences, mais aussi pouvant détourner la destination des semences en les vendant à des consommateurs mieux offrant.  Irakoze  fait aussi savoir que le maillon de la distribution des semences  est souvent confronté  aux anomalies liées à la faiblesse de la communication entre les fournisseurs et les agriculteurs, à l’insuffisance et à la détérioration des voies de transport, au coût élevé, etc.

Les semences de pré-bases déjà disponibles pour la saison culturale 2023 A à l’ISABU

Cultures

Quantités de semences de pré-base produites par l’ISABU en kg

Facteur multiplicatif   

Quantités de semences de base attendues chez les multiplicateurs en kg

Quantités de semences certifiées attendues  chez les multiplicateurs en kg

Quantités de consommables attendus en kg 

Haricots

16 500

12

198 000

2 376 000

28 512 000

Pomme de terre

205 195

14

2 872 730

40 218 220

563 055 080

Soja

3560

25

89 000

2 225 000

55 625 000

Sorgho

17300

200

3 460 000

692 000 000

138 400 000 000

Mais

48040

100

4 8040 00

480 400 000

48 040 000 000

Riz

12600

200

2 520 000

504 000 000

100 800 000 000

Manioc (Boutures)

1 000 000

50

50 000 000

2 500 000 000

125 000 000 000

Patate douce (Boutures)

15 000 000

12

180 000 000

2 160 000 000

25 920 000 000

 

La commercialisation des semences est aussi émaillée d’embûches dans la chaine semencière, précise Irakoze. Selon lui, cette situation est due en partie au coût élevé des semences, mais aussi aux connaissances limitées des agriculteurs en matière d’apprentissage des attributs de qualité des semences. De plus, la communication n’est pas développée pour montrer aux agriculteurs là où les semences sont disponibles. Il  indique alors que les acteurs clés du secteur semencier doivent fournir des efforts pour mieux comprendre les pratiques et le processus de commercialisation afin de susciter des décisions commerciales plus avisées et plus éclairées et  de booster  l’accès aux semences de qualité capable de dégager une meilleure rentabilité. Conformément aux exigences de l’OMC, le marché des semences devrait être libéralisé. L’Etat ne s’ingère pas dans la fixation  des prix  qui sont parfois désavantageant et découragent les producteurs et les multiplicateurs des semences.      

Avec tous ces couacs, l’Etat et ses partenaires ont encore un long chemin à parcourir pour satisfaire les besoins des agriculteurs en semences sélectionnées qui augmentent d’année en année et au rythme de la démographie.  A titre illustratif, comme le montre le Document d’Orientation de la Politique Environnementale, Agricole et d’Elevage de 2020 (DOPEAE),  les besoins en riz pour un ménage étaient estimés à 120 kg par an en 2020. Et, pour gagner le pari,  il faudrait rendre disponible 1 260 tonnes de semences de riz et emblaver une superficie de 50 400 ha pour avoir une production de 252 000 tonnes pouvant satisfaire 2 100 000 ménages que comptait le pays en 2020.

Pour le maïs, les besoins par ménage étaient estimés à 215 kg par an. Pour ce,  il faudrait rendre disponible 5 406 tonnes de semences de maïs composite et 2 253 tonnes de semences de maïs hybride et emblaver une superficie de 270 320 ha pour produire 450 533 tonnes et parvenir à satisfaire 2 100 000 ménages que comptait le Burundi en 2020. 

Pour le haricot, les besoins  par ménage étaient estimés à 144 kg par an.  Il faudrait  rendre disponible 25 153 tonnes de semences de haricot volubile et emblaver une superficie de 251 531 ha pour produire 301 837 tonnes  et parvenir à satisfaire la demande au niveau national.

Concernant la pomme de terre, les besoins par ménage étaient estimés à 286 kg par an. Il faudrait rendre  disponible 120 000 tonnes de semences de pomme de terre et emblaver une superficie de 60 000 ha pour pouvoir produire 600 000 tonnes afin de satisfaire la demande au niveau national.

Pour le manioc, les besoins par ménage étaient estimés à 1 667 kg par an. Il faudrait rendre disponible 3 500 000 000 boutures de manioc et emblaver une superficie de 350 000 ha pour produire 3 500 000 tonnes  et parvenir à satisfaire la demande  qui était estimée à plus de 2 100 000  ménages en 2020.  

Quant à la banane,  les besoins par ménage étaient estimés à 562 kg par an. Et  il faudrait rendre disponible 75 841 650 rejets de bananier et emblaver une superficie de 168 537 ha pour produire  1180200 tonnes  et parvenir à satisfaire la demande au niveau national.

Ir Irakoze conclut que malgré les défis auxquels le secteur semencier est confronté, l’ISABU ne baisse pas la garde et fait son mieux pour servir la population en termes de semences de qualité. Pour cette saison culturale 2023 A, des quantités non négligeables de semences de pré-base de différentes cultures sont disponibles à  l’ISABU. Pourtant, pour des raisons ci-haut évoquées, on n’est pas sûr que tous les agriculteurs vont accéder aux semences de qualité.

A propos de l'auteur

Jean Marie Vianney Niyongabo.

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