Médias

Rétention de l’information : ce cancer qui ronge le monde médiatique

La rétention de l’information est l’un des problèmes réels auxquels font face les professionnels des médias au Burundi. Cela ne fait aucune ombre d’un doute, certaines sources officielles sont réticentes à s’exprimer sur les ondes. Les professionnels des médias dénoncent un phénomène plombant le journalisme

Les professionnels des médias accusent certains officiels de coopérer avec les médias de façon désinvolte. Des rendez-vous qui n’aboutissent jamais, l’exigence d’une demande écrite adressée à la personne ressource, des appels téléphoniques refusés… sont une manière déguisée ou une ruse pour refuser l’accès aux informations aux journalistes. La rétention de l’information devient malheureusement une habitude chez certaines autorités.

Or, la loi régissant la presse confère aux journalistes le droit d’accéder aux sources d’informations. « Tous les médias ont le droit d’accéder aux sources d’informations et de se procurer les informations de sources diverses, sauf si lesdites informations sont confidentielles en vertu de la loi », stipule l’article 21 de ladite loi. Pour Simon Kururu, journaliste à la retraite qui a exercé le métier depuis les années 1970 et spécialiste en communication, les raisons qui justifient la rétention des informations sont diverses. Ce vétéran du journalisme a dévoilé les dessous de ce phénomène qui inquiète tant les journalistes burundais. Pour lui, c’est vrai que toutes les informations ne sont pas à mettre à la disposition du public mais, si une institution dissimule l’information qui n’est pas concernée par le principe de secret défense, c’est qu’elle veut cacher quelque chose de suspect au public. Il souligne cependant que, souvent, il y a manque de confiance entre les médias et les sources officielles de l’information.

Léandre Sikuyavuga, directeur des publications du groupe de presse Iwacu : « Lorsqu’on donne une information officiellement, on éclaire la population ».

Les détenteurs de l’information publique pointés du doigt

«La rétention de l’information est une réelle difficulté à laquelle nous faisons face de manière quotidienne et notre rédaction en a été victime », s’insurge Norris Nduwimana, journaliste et rédacteur en chef à la radio Culture. Pour lui, c’est très gênant de faire face à une situation où on doit toujours déplorer l’absence de l’intervention de nos sources d’information, surtout des responsables dans les institutions. «Nos auditeurs risquent de penser que nous ne fournissons pas d’efforts », déplore-t-il.

Cependant, Nduwimana ne rejette pas tout en bloc. Il salue notamment la volonté des nouveaux leaders qui essaient de faire la différence. «Aujourd’hui, on peut communiquer avec les institutions qui officient à l’intérieur du pays depuis Bujumbura», mentionne-t-il.

Léandre Sikuyavuga, directeur des publications du groupe de presse Iwacu ne dit pas le contraire. Ce responsable éclairé dans le métier de journalisme affirme que sa rédaction n’a pas échappé à cette malheureuse expérience. «Certains officiels ne sont pas disposés à donner l’information à certains médias, surtout les médias indépendants», regrette-t-il.  « Certains officiels ont étiqueté à tort certains médias et donnent l’information aux seuls médias publics alors que tout organe de presse  reconnu  par le  CNC devrait  y avoir accès », constate-t-il.

Sikuyavuga rappelle que les officiels constituent la source d’information de premier plan pour éviter les rumeurs. « Ils sont censés servir le public. Lorsqu’on donne une information officiellement, on éclaire la population », souligne-t-il. Il déplore le fait que certains officiels exigent la présentation d’une demande écrite, ce qui exige tout un processus alors que le journaliste court avec le temps. Cependant, Sikuyavuga  affirme que pour le moment ’il n’y a pas de torchon qui  brûle entre les médias et les pouvoirs publics et salue les initiatives entreprises par le chef de l’Etat et son gouvernement pour asseoir une bonne gouvernance. « Il faut plutôt que les autres  lui emboîtent le pas pour qu’ils cheminent ensemble dans cette volonté », commente-t-il.   

Certains consommateurs de l’information interrogés sur cette question s’inscrivent en faux contre la rétention de l’information publique.  « Le manque d’ouverture envers la presse est peut-être le moyen de cacher les échecs de certains responsables œuvrant dans les institutions de l’Etat », dit L.N, un jeune lauréat de l’université. Pour ce jeune, le manque d’information peut être à l’origine de la méfiance du peuple envers les pouvoirs publics et influer négativement sur la représentation du Burundi à l’extérieur.

Pour un autre jeune ayant travaillé en tant que journaliste, il n’y a aucune raison qui justifie la rétention de l’information. Si les officiels ne s’accusent de rien, ils doivent normalement donner l’information. « Et pourtant, nous avons le droit d’être informés sur ce qui se passe dans notre pays », s’indigne-t-il.

Les personnes qui refusent de donner les informations nuisent à la qualité des publications médiatiques.

Des conséquences pas moins lourdes

Pour Norris Nduwayo, tout le monde est perdant en cas de rétention de l’information. « Cela pousse la population à se méfier des médias et des pouvoirs publics »,  fait-il savoir.

D’après ce responsable de la rédaction de Radio Culture, les personnes qui refusent de donner des informations nuisent à la qualité de l’information. Les conséquences sont inévitables. « Quand on a loupé la réaction d’une personne ressource recherchée, le journaliste finit par diffuser une information que certains taxent de déséquilibrée et cela nous cause parfois des ennuis », a-t-il souligné.

« La rétention de l’information influe très négativement sur la qualité de la production  médiatique», affirme  le directeur des publications d’Iwacu. « Le journaliste se dirige vers une source officielle quand  il a entendu une information qui circule au niveau du public. Pour chercher la véracité de cette information, il lui faut s’informer auprès d’une source sûre afin de diffuser des informations vérifiées. Si l’officiel se refuse de donner sa version, le consommateur de l’information remarque toujours que quelque chose manque », reconnait ce cacique du monde médiatique. Et, parfois, le CNC accuse les médias d’avoir diffusé une information déséquilibrée alors que le journaliste n’a ménagé aucun effort pour décrocher l’intervention du responsable.

Les propos de Kururu rejoignent ceux des professionnels des médias.  Selon lui, refuser de fournir des informations destinées au public  a des conséquences très néfastes pour le medium qui peut être pris pour diffuseur des informations tronquées et l’institution en question perd sa crédibilité. « Quand les gens ne sont pas bien informées, ils ne peuvent pas s’empêcher de mal penser. Et l’institution paie un lourd tribut au niveau de sa crédibilité », prévient ce sénior du monde médiatique.

Une communication efficace, un remède

Pour remédier à ce problème, Kururu rappelle que le meilleur chemin reste celui de la communication. «Si vous cachez l’information, cela se retournera contre vous un jour » tient-il à avertir. Kururu appelle les deux parties à coopérer pour une issue meilleure et les exhorte à être plus professionnels pour les uns et plus ouverts pour les autres. Selon lui, les journalistes peuvent également se servir des méthodes d’investigation pour publier des informations plus correctes dans le strict respect de la déontologie journalistique.

Tout n’est pas noir. Certaines institutions essaient de bien collaborer avec les médias. Ce qui encourage certains professionnels des médias. Lors de la rencontre avec les journalistes en dates du 27 et 28 janvier 2021, Evariste Ndayishimiye, Président de la République du Burundi avait affiché sa volonté d’appuyer la presse libre. Pour le numéro Un Burundais, la presse peut contribuer dans la réussite d’une bonne gouvernance. « Rien sans les médias », annonce-t-il. Peut-on s’attendre à une réouverture de l’espace médiatique? En tout cas, chacun a un rôle à jouer dans la promotion de la liberté d’expression et, partant, de la liberté de la presse.

A propos de l'auteur

Jonathan Ndikumana.

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