Gouvernance

Médias et élection : entre théories et professionnalisme

A l’approche des élections de 2025, les journalistes sont sommés par l’autorité et la législation à être professionnel, impartial, honnête…Il est convié à donner la parole d’une façon équitable aux protagonistes et à ne pas diffuser les résultats des élections avant que ne le fasse les instances habilitées. Le spécialiste du droit des médias et enseignant de cette matière dans différentes universités du pays donne son point de vue

« Les médias doivent diffuser les informations sans émotions, sans sentiments. Ils doivent montrer le rôle de tout un chacun dans le développement du pays afin que les citoyens sachent réellement qui élire. Ceux-ci ne doivent pas nécessairement élire quelqu’un avec qui ils partagent l’appartenance politique, mais quelqu’un qui a de l’importance pour son pays », a déclaré Evariste Ndayishimiye, Président de la République du Burundi lors du lancement officiel de la campagne d’éducation civique et électorale pour les élections de 2025 vendredi le 12 avril 2024.

Il fait remarquer que les journalistes doivent accorder de manière équitable un même espace dans les médias aux intervenants et traiter les informations avec impartialité et exactitude. Cela sans oublier de ne pas donner la parole aux détracteurs du pays.

Quid de la législation ?

La législation rappelle à son tour le comportement des journalistes. Dans son article 3, le code de déontologie des journalistes signale que le journaliste s’abstient de publier des articles ou de diffuser des informations à caractère obscène ou qui encouragent le vice, le crime ou toute autre activité contraire à la dignité humaine.

En son article 52, le projet de loi sur la presse stipule que dans l’exercice de son activité, le journaliste a libre accès aux sources d’informations. Il peut enquêter et commenter librement sur les faits de la vie publique. Toutefois, il est tenu dans l’expression de cette liberté au respect des lois, des droits et des libertés d’autrui.

L’article 68 signale que tout organe de presse doit permettre l’accès équitable des partis politiques, des associations de la société civile et des citoyens afin de contribuer aux débats qui préoccupent la société.

L’expert parle

Gérard Ntahe, spécialiste du droit des médias et enseignant de cette matière dans différentes universités du pays répond à deux questions pour expliquer le comportement d’un journaliste et l’absolutisme de la liberté de la presse pendant la période électorale

 Gérard Ntahe, spécialiste du droit des médias et enseignant de cette matière dans différentes universités du pays : « Les médias jouent un rôle crucial dans une élection démocratique en permettant la transparence du processus, c’est-à-dire l’accessibilité de l’information y relative ».

Le 12 avril 2024, le Chef de l’Etat a procédé au lancement de la campagne d’éducation civique et électorale, quel doit être le comportement des journalistes en période électorale ?

Chaque élection comprend deux phases : la phase préélectorale et la campagne électorale proprement dite.

La phase préélectorale est la période plus ou moins longue pendant laquelle les organisateurs mènent un certain nombre d’activités comme le recensement de la population et le découpage électoral, la convocation des électeurs, la désignation de ceux qui vont superviser les élections et leur formation, l’enrôlement des électeurs, l’identification des bureaux de vote et la mise en place de la logistique. C’est pendant cette période que les partis politiques désignent leurs candidats et disponibilisent les moyens qui leur permettront de battre efficacement campagne le moment venu.

La phase électorale proprement dite est courte puisqu’elle se déroule généralement sur deux ou trois semaines. C’est au cours de cette période que les candidats se présentent aux électeurs pour solliciter leurs suffrages.

Au cours de ces deux périodes, l’information joue un rôle crucial. Comme chacun le sait, les médias sont essentiels à la démocratie et une élection réellement démocratique est difficilement imaginable sans le concours des médias. Une élection libre et juste repose certes sur la liberté de voter, mais aussi sur le processus participatif où les électeurs disposent de suffisamment d’informations à propos des partis politiques, des candidats et du processus électoral proprement dit afin, le moment venu, de faire un choix éclairé.

Les médias jouent également un rôle crucial dans une élection démocratique en permettant la transparence du processus, c’est-à-dire l’accessibilité de l’information y relative.

Pour ce faire, les médias doivent faire preuve d’un niveau élevé de professionnalisme et d’impartialité dans le traitement des informations.

Les journalistes burundais peuvent, comme ils l’ont déjà fait dans le passé, adopter un cadre de travail comme la synergie qui peut contribuer à un niveau élevé d’efficacité comme cela s’est vérifié de manière éclatante lors des élections de 2005.

Les dispositions légales qui font obligation aux médias publics financés par les fonds publics, de fournir une couverture juste et un accès équitable à tous les candidats, sans exclusive, doivent être particulièrement observées en période électorale.

Pendant la campagne électorale proprement dite, il est de tradition que les médias audiovisuels accordent aux partis politiques et aux candidats indépendants un droit à une stricte égalité de parole et d’antenne. Son intérêt est donc relatif

Mais, outre que ce temps est limité, surtout si on se trouve en présence d’un effectif élevé de candidats, il intervient trop tard quand les jeux sont déjà faits.

L’article 235 du projet de loi portant modification de la loi organique n°1/11 du 20 mai 2019 portant code électoral sanctionne d’une servitude pénale de cinq à dix ans et d’une amende de huit cent mille à quatre millions de francs burundais (800 000 à 4 000 000 BIF) ou de l’une de ces peines seulement, toute personne physique ou morale qui annonce ou proclame les résultats d’une élection avant les organes compétents.
Est-ce que d’après vous, cette disposition ne viole pas le droit des médias de rechercher, de recevoir et de répandre, sans considération de traitement, les informations ?

La question qui se pose ici est la suivante : la liberté de la presse est-elle absolue ou, au contraire, peut-elle connaître des limites.

Ma réponse est la suivante : cette liberté est reconnue, mais elle n’est pas absolue.

En son article 4, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 définit la liberté en limitant d’emblée : « La liberté consiste à pouvoir faire ce qui ne nuit pas à autrui ; ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ».

Dès 1946, l’Organisation des Nations Unies a ainsi évoqué la problématique de l’exercice de la liberté de l’information et de ses limites dans la Résolution 59 de l’Assemblée Générale : « La liberté de l’information est un droit fondamental de l’homme et la pierre de touche (…) de toutes les libertés à la défense desquelles se consacrent les Nations Unies (…). La liberté de l’information exige nécessairement que ceux qui jouissent de ce privilège aient la volonté et le pouvoir de ne pas en abuser. L’obligation morale de rechercher les faits sans préjugés et de répandre les informations sans intention malveillante constitue l’une des dispositions essentielles de la liberté de l’information ».

Ainsi, l’article de la déclaration universelle des droits de l’homme précise qu’aucune de ses dispositions « ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qui y sont énoncés ». L’article 46 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est libellé dans des termes pratiquement identiques. La charte africaine des droits de l’homme et des peuples dit pour sa part en son article 9.2 que : « Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements. »

La Déclaration de principe sur la liberté d’expression en Afrique reconnait indirectement en son article XIII que celle-ci peut être restreinte à travers la formule suivante :

« 1. Les Etats doivent revoir toutes les restrictions pénales sur le contenu en vue de s’assurer qu’elles servent un intérêt général dans une société démocratique ;

« 2. La liberté d’expression ne devrait être restreinte pour des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale, à moins qu’il n’existe un risque réel de menace imminente d’un intérêt légitime et d’un lien causal direct entre la menace et l’expression. »

Quant à la Constitution de la république du Burundi, elle prescrit en son article 19 que : « Les droits fondamentaux proclamés et garantis, entre autres par la Déclaration universelle des droits de l’homme, les Pactes internationaux relatifs aux peuples (…) ne peuvent faire l’objet de restrictions et de dérogations que dans certaines circonstances justifiables par l’intérêt général ou la protection d’un droit fondamental. »

Ceci dit, quel est l’intérêt général légitime que l’annonce ou la proclamation des résultats d’une élection par d’autres personnes que les organes compétents, menacerait-il réellement ?

Cette disposition respecte-t-elle le principe de proportionnalité, qui n’est autre qu’une juste adéquation entre la fin et les moyens ?

En d’autres termes, l’annonce ou la proclamation des résultats d’une élection avant que les organes de la CENI ne le fassent menacerait-elle réellement l’ordre, la santé et la morale publique ?

La mise en œuvre de cette disposition ne porterait-elle pas atteinte à la substance même du droit du public à l’information et les inconvénients ne seraient-ils pas démesurés par rapport à l’objectif officiellement proclamé, c’est-à-dire l’organisation d’élections démocratiques, libres et transparentes ?

Je ne saurais répondre à ces questions et vous réfère aux auteurs du projet de loi qui, mieux que moi, pourraient vous donner une réponse satisfaisante.

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A propos de l'auteur

Mélance Maniragaba.

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