Economie

Quand la pauvreté s’installe progressivement au Burundi

D’après certaines institutions, le Burundi est miné par la pauvreté même si le patron du ministère en charge des finances essaie de blanchir le mouton noir. De plus, l’augmentation du taux d’inflation et de l’insécurité alimentaire se taille progressivement la part du lion    

Ces derniers jours, Domitien Ndihokubwayo, ministre en charge des finances a fait savoir que tous les indicateurs économiques ne sont pas au rouge.  Il argue que même le Fonds Monétaire International «FMI»  en témoigne et fait remarquer que le Burundi  a atteint une croissance économique de 3,6%. 

Les propos de ce patron du ministère en charge des finances ont étonné plus d’un, y compris certaines organisations de la société civile de la place, car pas mal d’autres indicateurs montrent que l’économie burundaise ne se porte pas bien.  La pauvreté s’installe progressivement dans notre pays. A titre illustratif, selon  le FMI, la dette publique du Burundi  va crescendo et est passée de 67% du PIB en 2020 à 72,4% du PIB en 2021. Elle reste élevée même en 2022, soit 71,2% du PIB.  Et d’ajouter que  selon la BAD, l’augmentation de la dette intérieure expose le Burundi à un risque de surendettement. 

Presque la moitié de la population burundaise vit en dessous du seuil de la pauvreté.

De plus, la faible croissance  économique en comparaison avec la croissance démographique entraîne une hausse continue du taux de pauvreté qui a atteint environ 87,1% en 2021 selon la Banque Mondiale. Et le Burundi se classe 185ème  sur 189 pays selon l’indice de développement humain. L’Institut des Statistiques et d’Etudes Economiques du Burundi (ISTEEBU) abonde dans le même sens. Presque la moitié de la population burundaise vit en dessous du seuil de la pauvreté. Selon les données dudit institut, un peu plus la moitié de la population burundaise, soit 51,4% sont pauvres. L’analphabétisme et le sous-emploi font partie des facteurs majeurs de la pauvreté. Cependant, il existe des disparités selon le milieu, le niveau d’instruction, l’âge et le sexe.

En considérant la pauvreté non monétaire, les résultats de l’enquête montrent que 53,1% de la population sont pauvres. Selon le milieu de résidence, la proportion des pauvres est beaucoup plus élevée en milieu rural (56,7%) qu’en milieu urbain (22,5%). D’après ce rapport, les ménages ruraux au Burundi sont plus exposés aux risques d’être pauvres comparativement à ceux du milieu urbain. « L’accès aux principaux services sociaux de base contribue à faire baisser la probabilité d’être pauvre ». A titre illustratif, les ménages ayant plus de possibilités d’accès à l’électricité ont une probabilité plus faible d’être pauvre monétairement (-22,5%) comparés à ceux qui ont plus de difficultés à y accéder.

Ainsi, la probabilité d’être pauvre baisse de 15,1% lorsqu’on passe d’un chef de ménage ayant le niveau d’étude secondaire à celui ayant le niveau d’étude supérieur. La probabilité d’être pauvre augmente quand on passe du niveau d’instruction secondaire au niveau d’instruction primaire ou niveau nul respectivement de 15,5% et 21,6%.

L’inflation fait du bruit

Le pire est que le taux d’inflation va crescendo. Le taux d’inflation annuel s’établissait à 12,6% en juin 2022. Cette inflation est due principalement aux prix des produits alimentaires  qui enregistrent une hausse de 15,1%.  La hausse de cet indicateur macroéconomique se répercute sur les conditions de vie des ménages. La cherté des denrées alimentaires dicte le style de vie.  Et les consommateurs s’adaptent tant bien que mal. Un kilo de grains de maïs s’achète à plus de 1700 FBu, celui du riz à plus de 2800 FBu et celui du haricot à plus de 1600 FBu.  Ainsi, le pouvoir d’achat devient de plus en plus faible. Ils doivent mobiliser d’autres revenus pour survivre. Pour ce faire, les entreprises locales éprouvent d’énormes difficultés à écouler leurs produits, car les consommateurs priorisent les dépenses.

Le taux d’inflation va crescendo. Le taux d’inflation annuel s’établissait à 12,6% en juin 2022.

Même tendance pour les produits importés. L’inflation n’est plus à démontrer. Les  prix des articles divers (huiles végétales, le sel, les produits manufacturés),  augmentent en flèche. La double hausse du prix du carburant, la perturbation des chaînes d’approvisionnement et la dépréciation continue du FBu influent sur les prix des produits importés.  La détérioration continue du BIF et la différence de 80% entre les taux de change officiel et parallèle du BIF entraînent des prix élevés pour les aliments importés. 

Une autre anomalie qui rend notre économie moribonde est la pénurie des devises. Selon la Banque Africaine de Développement (BAD), elle s’est accentuée sur le marché de change local en 2021. Ce qui a entraîné une dépréciation de 3% du franc burundais par rapport au dollar américain et paralysé la mobilité de la population.  Et le coût de transport est passé du simple au double. Ce qui fragilise davantage les conditions de vie des ménages.   

L’insécurité alimentaire : danger! 

Le comble est que le rapport de l’OCHA alerte aussi sur les cas d’insécurité alimentaire aiguë. Ce document évoque les aléas climatiques récurrents et l’exiguïté des terres arables comme étant les principales causes de l’insécurité alimentaire aiguë qui sévit dans le pays qui fait également face à l’impact de deux autres grands chocs, à savoir : la pandémie de  Covid-19 et la crise en Ukraine.  

Ces chocs affectent durement les moyens d’existence des populations et impactent également les chaînes d’approvisionnement et les prix des denrées essentielles sur le marché. 

La régulation des prix de certaines denrées alimentaires n’arrive pas à stabiliser les prix pour autant.  «Toute mesure qui entraîne la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs est absolument défavorable à l’économie dans son ensemble», a réagi Prof Léonidas Ndayizeye, chercheur et enseignant à l’université du Burundi  dans un panel sur le libéralisme économique. D’ailleurs, il est déconseillé aux pouvoirs publics d’intervenir dans la fixation des prix, surtout lorsque les produits ne sont pas stratégiques. Pour lui, l’intervention des pouvoirs publics dans la fixation des prix constitue un frein au libéralisme économique.

Le rapport de l’OCHA alerte aussi sur les cas d’insécurité alimentaire aiguë.

 

Les résultats d’une récente enquête sur les conditions de vie des ménages montrent que 40,2% des ménages passent toute la journée sans manger par manque d’argent ou d’autres ressources. Ce qui veut dire que dans l’ensemble des 8490 ménages enquêtés, 40,2%, à un moment donné, un membre du ménage a passé une journée sans manger par manque d’argent ou d’autres ressources, interprète Nicholas Ndayishimiye, directeur général de  l’ISTEEBU.

Ledit rapport a décelé trois chocs récurrents dans notre pays dont la sécheresse ou les pluies irrégulières et les prix élevés des produits alimentaires. La diminution de la production agricole des ménages est due à la sécheresse et/ou aux pluies irrégulières, aux insectes ravageurs et aux maladies des plantes. Les producteurs rapportent également le manque de fertilisants qui persiste depuis le début de cette année. 

Le conflit russo-ukrainien aggrave la situation

Les perspectives économiques de la Banque Africaine de Développement (BAD)  prédisent déjà des pressions inflationnistes mondiales exacerbées par la guerre russo-ukrainienne. Ce qui augmentera le taux d’inflation jusqu’à 9,3% en 2022.  Les données de l’ISTEEBU montrent que le taux d’inflation actuel dépasse de loin les prévisions. Lors de la présentation de la loi portant fixation du budget général de l’Etat, les députés ont demandé au ministre en charge des finances les mesures concrètes prises pour atténuer les effets de l’inflation. Même les responsables des partis politiques ont demandé au président de la République de laisser entrer dans le pays  les produits alimentaires  comme le riz, les haricots et les grains de maïs  qui proviennent des pays frontaliers pour réduire le taux d’inflation. Jusqu’à présent, seuls les grains de maïs et leurs dérivés sont autorisés à atterrir sur le marché burundais.   

Notons que la détaxation des denrées alimentaires importées pourrait atténuer les effets de l’inflation sur les ménages. Pour les salariés, les annales ne constituent que des garde-fous. Le Code du travail stipule que le travailleur devrait percevoir des primes et autres avantages chaque année. «Les annales sont reversées également aux salariés pour atténuer les effets induits par l’inflation». L’augmentation du salaire est automatique à la fin de l’année pour chaque fonctionnaire. Au Burundi, la convention interprofessionnelle de juin 1980 a fixé au minimum les annales à 3%. Malheureusement, cette disposition n’est pas appliquée à l’ensemble des salariés dans presque tous les secteurs.

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A propos de l'auteur

Jean Marie Vianney Niyongabo.

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